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Dénombrement

Sans me vanter les chiffres ne manquent pas de charme, semblables à de jolis bibelots ou des animaux familiers dans notre quotidien. Laissons-les donc nous accompagner un peu dans ce blog.

Mais attention je dis bien les chiffres et non les nombres.

Car il faut d'abord régler ce problème. Nombre, chiffre : quelle différence ? Que vous vous soyez ou non posé la question, Dieu me calcule j'ai la réponse nécessaire et suffisante.

Le nombre dénombre, le chiffre déchiffre.

Le nombre adhère donc à l'idéologie marchande, raisonne en quantité et en accumulation, en gain ou en perte, en plus ou en moins. Porté sur la comparaison, la concurrence et le classement, il peut décréter un numerus clausus. Philosophiquement parlant, le nombre est dogmatique, pour ne pas dire platonicien. Il croit à la hiérarchie et s'incline devant la souveraineté du nombre d'or.

Quant au chiffre, Robert nous en livre le secret, la mystique peut être, grâce à une de ces mises au point étymologiques dont il est coutumier.

« Chiffre (1485) : du latin médéval cifra (= zéro) de l'arabe sifr = vide. »

Tandis que le nombre est avide, le chiffre est à vide. Une simple écriture. Un pur signifiant, il se donne, transparent, rien que présent. Prêt à se livrer à tous les jeux de la combinatoire mathématique. Comme la lettre est ouverte à l'infini des jeux de la signification. (cf notes du 28 et 31 mai)

Si le nombre est un marchand, le chiffre est donc un poète. Et si le nombre est platonicien, le chiffre est sceptique.

Quand le nombre dit combien, le chiffre garde le silence.

 

C'est bien beau tout ça me direz-vous, mais concrètement on parle des chiffres du chômage. Oui, mais il me semble avoir clairement démontré ci-dessus que (si les mots ont un sens) c'est un non-sens. Car en rigueur de termes on ne peut parler (si l'on tient à aborder des sujets aussi déprimants) que du nombre des chômeurs.

Cependant cet emploi fautif (du terme chiffre j'entends) ne laisse pas d'être riche de significations. Combien il révèle le respect religieux qui entoure le Marché dont les voies sont insondables malgré la multiplication des sondages ! On dit chiffres du chômage car le chômage est, et surtout doit rester indéchiffrable, énigmatique. Abstrait de la violente et sale réalité du pouvoir mercantile, de l'exploitation de l'homme par l'homme que ferait surgir à nos yeux l'évocation de la cohorte des chômeurs de chair et d'os, un à un dénombrés.

Chiffres du chômage, chômage indéchiffrable qui maintient le pouvoir des hommes calculateurs sur ceux qui ne comptent pas.

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