« Dis un chiffre au hasard ! » C'est toujours rigolo de jouer à ce jeu. Et pas seulement rigolo. Ou plutôt, c'est rigolo pour la raison, toujours la même, qui fait aussi l'humour, le jeu de mots particulièrement. Laisser parler le hasard pour mettre à distance la crainte et l'espoir, l'inconnu, bref les lubies du destin indéchiffrable. « Tout peut arriver, OK je suis prêt à tout. On sait pas quand ? OK de toute façon pour le changement c'est toujours maintenant ».
Sauf que le hasard ne parle pas. Quand on croit laisser parler le hasard, on s'adonne sans la savoir à un exercice de ventriloquisme – quité ? quitude ? C'est Freud qui le dit, expliquant et démontrant (ou tentant de démontrer) dans une page de Psychopathologie de la vie quotidienne que lorsqu'on avance un chiffre soi-disant au hasard, il est en fait l'expression d'un désir ou conflit inconscient. Tout pareil qu'un lapsus ou acte manqué.
Faut-il interpréter de même la notion de chiffre préféré ? Attention je ne dis pas chiffre-fétiche ou porte-bonheur, là d'accord la cause serait entendue. Je parle bien de chiffre préféré, celui pour lequel inexplicablement on ressent sympathie, connivence. Dont on se dit si j'étais chiffre je serais celui-ci.
Moi (par exemple au hasard) c'est 8. Du plus loin que je me souvienne, depuis ma première rencontre avec lui. Était-ce sous forme crayeuse sur un tableau noir ? Plus probablement sur une feuille blanche, tracé de la main de mon père (« Ah ah » dit Papa Sigmund) ? Après j'ai su, au temps que je m'alphabétisais, qu'il était aussi « huit », s'initialisant de ce H rébarbatif, qui pour être aspiré ne me parut pas très inspiré. Et je ne peux que m'accorder rétrospectivement un satisfecit en intuition linguistique (une fois n'est pas coutume), car, je vous le donne en mille, qu'ai-je appris en ouvrant Robert l'autre jour ?
« Huit. Fin XI° uit, latin octo ; h pour éviter la prononciation (vit) ». Ce mot est donc affligé d'un h surnuméraire apposé par quelque grammairien pudibond, un h semblable aux feuilles de vigne cache-sexe dont fut couverte l'anatomie des statues de Michel-Ange.
Cela dit, huit ou uit je m'en fous, moi c'est 8 que j'aime. Petit bonhomme de 8 propice aux projections anthropomorphiques & enfantines. Tiens oui, semblable au dessin charmant de l'esperluette. Et semblable aussi au signe qui note la notion d'infini, ouvrant tant d'espace aux spéculations mathématiques & imaginaires, voire métaphysiques si l'on est un tant soit peu pascalien.
Mais je crois qu'enfant je l'ai surtout aimé parce qu'en lui je retrouvais la silhouette de mes copines fourmis que j'observais sans me lasser à longueur de jeudi dans le jardin de ma grand-mère. « Re ah ah », dira Papa Sigmund.
A quoi je répondrai : et ... ? Et je dirai même plus : & ...?