Pourquoi Papa et Maman Spinoza ont-ils prénommé leur fiston ainsi ? On me dira que cette question n'est pas importante.
Pourtant chercher le prénom de l'enfant à venir est dire quelque chose d'un désir (ou d'un fantasme, ou d'une injonction, ou tout cela ensemble) quant à sa place dans le monde.
Anachronisme me rétorquera-t-on : à l'époque les prénoms se transmettaient de génération en génération selon des canons de piété familiale (comme cela se fait encore couramment ailleurs et parfois ici).
Baruch il fut nommé probablement parce que c'était le nom genre d'un grand père, d'un tonton, d'un frère mort en bas âge.
OK mais remarquons que chacun de ces exemples implique un climat de venue au monde bien différent. On ne peut donc éluder la question des motivations du choix même à l'intérieur d'un cadre contraint.
Exemple Vincent ou Théo ça changera des choses qui sait.
La biographie de Colerus commence bien sur cette question du prénom, mais non pour expliquer le choix des parents (qu'il ignorait comme vous et moi, et peut être eux-mêmes).
« Spinosa ce Philosophe, dont le nom fait tant de bruit dans le monde, était Juif d'origine. Ses parents, peu de temps après sa naissance, le nommèrent Baruch. Mais ayant dans la suite abandonné le Judaïsme, il changea lui-même son nom, & se donna celui de Benoît dans ses écrits & lettres qu'il signa. »
Il changea lui-même son nom. Son prénom plutôt, sa marque individuelle, sans s'extraire du cadre de sa lignée. D'ailleurs son patronyme avait tout pour lui convenir (en latin spinosus = épineux d'où pointu d'où au figuré subtil).
À l'inverse de changements plus étudiés (Labrunie devint de Nerval en misant sur la particule, de Crayencour étant plutôt femme de tête se fit Yourcenar, Smet Hallyday yeah yeah, & autres illustres auteurs), de Baruch à Benoît ce n'est qu'une traduction. (En fait Benedictus, Colerus traduit à son tour pour des lecteurs français).
Est-ce pour souligner l'abandon du judaïsme (en réalité c'est sa communauté locale qui l'a rejeté) ? Ou plutôt pour signifier relativité, contingence de toute appartenance autre que la seule adhésion qui valait pour lui : à la République des idées.
Elle était ce lieu symbolique où savants et penseurs de toute l'Europe dialoguaient. Et dialoguaient en latin, langue internationale. Donc langue choisie par Spinoza pour écrire ses livres et les signer Benedictus.
En outre cela me fait penser à un certain Szygmunt se renommant Sigmund (qu'on peut entendre sieg-mund = bouche de/pour victoire). Traduction du prénom, interprétation de soi.
En tous cas Baruch n'était certes pas béni oui oui, c'était un vrai rebelle. Mais à sa façon.
Une façon de rébellion dont le plus déterminant est peut être, paradoxalement, d'assumer de porter quelque chose comme une bénédiction universelle.
« Par réalité et perfection j'entends la même chose ». Signé Baruch.