Ethique
Partie 4 : De la servitude humaine, autrement dit de la force des affects, Appendice (chap 10 à 13)
« En tant que l'Envie ou un affect de Haine les porte les uns contre les autres, les hommes sont en cela contraires les uns aux autres, et par conséquent sont d'autant plus à redouter que leur puissance l'emporte sur celle des autres individus ( = composantes ) de la nature.
Les esprits cependant ne se vainquent pas par les armes, mais par l'Amour et la Générosité. (cf Générosité bien ordonnée)
Il est avant tout utile aux hommes de se joindre par des comportements communs, et de s'enchaîner mutuellement de liens par lesquels ils fassent d'eux tous un seul plus apte, et de se mettre, absolument, au service du renforcement des amitiés.
Mais il y faut de l'art et de la vigilance. Les hommes sont divers (car rares sont ceux qui vivent selon ce que la raison prescrit) et de fait la plupart sont envieux, et plus enclins à la vengeance qu'à la Miséricorde. Et donc avec chacun d'eux être soi-même et se retenir d'imiter leurs affects demande une singulière puissance de l'esprit.
Et ceux qui, au contraire s'entendent à déchirer les hommes, à réprouver les vices plutôt qu'à enseigner les vertus, et à briser les esprits des hommes au lieu de les affermir, ceux-là se pénalisent eux-mêmes et pénalisent les autres ;
et c'est ainsi que beaucoup, l'esprit débordé et dans un faux zèle de religion, préfèrent vivre parmi des brutes plutôt que parmi les hommes ;
on dirait des enfants ou des adolescents qui n'ayant pas le bon sens de supporter les réprimandes de leurs parents, voient un refuge dans une obéissance militaire, préfèrent les inconvénients de la guerre et la domination d'un tyran au confort d'un chez-soi et à l'éducation d'un père, et supportent qu'on leur impose n'importe quel fardeau, pourvu qu'ils se vengent de leurs parents. »
Baruch Spinoza