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Perdre, trouver

 

Ce qui est bien avec une contrainte d'écriture, c'est qu'elle dispense du pourquoi et permet de se consacrer au comment. C'est un mode d'écriture qui fait échapper à la prise de tête.

Le Sens, le Message ? Il se délivreront d'eux-mêmes, émergeront du texte comme émerge la forme du bloc de pierre si le ciseau s'efforce à autant d'habileté qu'il peut. Ou bien ils n'émergeront pas, et qu'importe.

Le texte n'aura peut être, sinon aucun sens, du moins pas de projet quant à son message. Il se contentera d'offrir, à qui l'écrit, à qui le lit, un petit moment de jeu avec les mots, qui feront entendre ce qui viendra, comme ça viendra.

La contrainte a ses lettres de noblesse, en poésie particulièrement. Elle est une muse de fort bon conseil, et plus encore de fort bonne compagnie.

Elle est aussi, la contrainte, une madone objet d'un culte empressé dans tout atelier d'écriture qui se respecte. Et ce n'est que justice. Quelle autre divinité peut vous faire créateur avec si peu de chose ?

 

Parmi les contraintes d'écriture figure en bonne place le lipogramme. Du grec leipein = enlever, et gramma = lettre, il consiste comme le nom l'indique à bâtir un texte en excluant une lettre du matériel alphabétique dont nous disposons.

L'exemple le plus connu pour la littérature française est le roman de Georges Perec (1936-1982) intitulé La Disparition, construit sur lipogramme du E, lettre de loin la plus fréquente en français.

Perec fut un oulipien, un fervent adepte donc de la contrainte.

NB oulipo = ouvroir de littérature potentielle. Autres membres célèbres Queneau, Calvino, Roubaud. Ils ont conçu des contraintes souvent à la fois poétiques (option surréalisme) et mathématiques.

 

Comme cela a été souligné par les commentateurs, c'est en excluant de sa fiction le E que Perec signe la poursuite de sa propre histoire, après la disparition d'eux, son père tué à la guerre, sa mère exterminée à Auschwitz.

Ainsi La Disparition, outre rendre baba devant la virtuosité et l'inventivité de son auteur, révèle une propriété de la contrainte : sa simple formulation peut suffire, si on sait la lire, à donner le sujet d'une histoire.

 

Les 26 mini-histoires qui vont suivre dans ce blog sont construites par lipogrammes déclinant l'alphabet. (Il n'aura pas échappé à l'éventuel lecteur par hypothèse assidu que je suis férue d'abécédaires et autres lexiques, sans me vanter j'aurais fait un bon dictionnaire).

Chaque formule d'exclusion de la lettre a amené, par le fait, le thème que je me donne à explorer dans chaque narration.

Ainsi le premier texte, que vous découvrirez la prochaine fois, est né de la formule « sauf A ».

 

 

 

 

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