Ce n'est pas mourir qui est difficile, c'est vivre.
La lutte est celle-ci, la vraie guerre. Vivre, non pas seulement survivre.
Voir le jour qui se lève et s'émerveiller que la lumière encore soit lumière.
Et puis dans la tranchée, tenir, en homme digne de ce nom. Endiguer le dégoût du sang qui se mêle à la fange. Tenir, droit, dans la lassitude du corps, dans l'amertume du sort insensé qui t'est fait. Ne pas penser à l'injustice, aux planqués de l'arrière, aux chefs qui usent de toi, de vous tous, comme de pions pour leurs jeux de stratégie.
Ne pas penser à ceux qui disent que la guerre est jolie. À ceux que la mort, si par hasard elle venait à eux aujourd'hui, trouverait dans un lit aux draps propres.
Tenir dans la peur. La sale angoisse qui te happe, qui te déglutit plus sûrement que l'argile grise. L'angoisse qui suce tes dernières forces, en monstre sadique.
Tenir pour le petit nouveau qui vient d'arriver, presque un enfant encore, dont tu essaies d'être le père ici, l'ange gardien dans cet enfer. Il te faut aller chercher encore en toi un peu de force pour faire rempart à la mort qui le guette, il est une proie si facile.
Tenir avec les autres, tous les copains, ceux que tu aimes, et ceux que tu n'aimes pas, les gentils et les salauds, les malins et les cons.
Tenir avec les autres parce qu'ils sont là avec toi. Vous êtes un seul corps. Un corps d'armée.
Et vous attendez. L'assaut ne va pas tarder.
Vous attendez, transis et résignés. Au signal il faudra escalader, s'extraire de ce trou de terre, surgir et affronter le feu.
Ceux d'en face aussi ils attendent. Dans la même peur la même lassitude la même amertume. Le même espoir d'échapper, une fois encore. Jusqu'à la prochaine.
En face il y a des armes qui vont cracher la mort, en espérant que cette mort ne soit pas la tienne. Et sinon …
Sinon, quand la guerre sera finie, tu auras ton nom quelque part sur une jolie place, un nom que dira la voix d'un enfant lors d'émouvantes cérémonies du souvenir.
À cet enfant, à tous les enfants, toi aussi tu as quelque chose à dire, quelque chose dont tu voudrais qu'ils se souviennent enfin, les hommes. Tous les hommes.
Ce n'est pas mourir qui est difficile, c'est vivre.