Le clocher du village où je vis sonne toutes les heures, mais à sept heures, le matin et le soir, il chante.
Un carillon de notes élastiques qui semblent jouer à rebondir les unes sur les autres.
En l'écoutant je suis encore l'enfant qui s'émerveillait en ouvrant sa boîte à musique.
Aux demi-heures, le clocher ne sonne qu'un coup.
C'est solennel, austère, mélancolique.
Plusieurs coups égrènent le temps, comme on dit.
Série de choses qui tiennent ensemble, les actes et les moments qui confectionnent une existence, comme un collier de perles aux tailles, formes, couleurs variées.
Mais un seul coup c'est le temps-même.
Majestueux, sans réplique, le maître de tout.
Comparons la vie à un jour, à vingt-quatre heures : quelle heure a sonné au clocher pour mon 62ème anniversaire ?
Faisons le compte. Une règle de trois.
L'espérance de vie actuelle pour une femme est, voyons, à peu près 84 ans, c'est ça ? (Dans nos contrées privilégiées, car hélas ailleurs on espère sans doute, mais moins longtemps).
Allez, on va dire 80, déjà pas mal. Donc 80 ans pour 24 heures. Quelle heure est-il à 62 ans ?
Il est 18h10 ou à peu près.
Déjà ou à peine ?
Mettons que ce soit l'été, car s'il faut vraiment mourir un jour, à la grande rigueur, eh bien pour ma part je me souhaite de mourir en été.
En été donc, à cette heure-là, à 18 heures un peu passées, la nuit est encore loin.
C'est l'heure douce où la chaleur desserre peu à peu son étreinte, où le soleil cesse de se prendre pour une divinité implacable du panthéon aztèque.
Et puis cela laisse encore le temps d'écouter plusieurs heures s'égrener au clocher.
Et d'entendre encore une fois chanter le carillon de sept heures du soir.
Il faudra s'appliquer à bien l'écouter, une dernière fois, le joli carillon.
Il faudra aimer l'envol de ses notes, petites bulles qui partiront se fondre à l'océan du temps.