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Temps compté

 

« Je n'ai pas le temps ».

J'ai lu récemment une belle biographie romancée d'Évariste Galois (1811-1832), titrée simplement Évariste. (F.H. Désérable. Gallimard 2015)

Ayant plus ou moins, toutes choses égales par ailleurs, fréquenté les mathématiques dans ma jeunesse folle, je savais l'extraordinaire génie de Galois. Sans être capable, je vous rassure, de comprendre véritablement ses théories et théorèmes.

En outre, pour les jeunes étudiants que nous étions, il était auréolé d'un destin de héros romantique à souhait. À vrai dire il aurait sans doute souhaité autre chose que mourir à vingt ans dans un stupide duel pour une bonne femme qui, elle, n'a pas su l'aimer (faut dire qu'il avait son petit caractère, l'Évariste).

Mais bon c'était quand même plus ou moins mourir d'amour.

Je ne savais pas à l'époque, ce livre me l'a apprise, une chose qui avait pourtant de quoi séduire les tout juste post-soixante-huitards que nous étions.

Évariste fut un républicain engagé, en cette Restauration où sévissaient les vieux schnocks nostalgiques de l'Ancien Régime.

Il faisait partie de groupes radicaux, a participé aux soulèvements de 1830 et 1832. Nul doute qu'il aurait été aussi fort actif en 1848.

Si le destin n'avait pas été bête et méchant, indifférent au bonheur du jeune homme et, par corollaire, scandaleusement peu soucieux du progrès des mathématiques.

Dans son livre, Désérable imagine cette fameuse dernière nuit d'Évariste Galois, passée à noter fiévreusement l'essentiel de ses recherches, qui allaient révolutionner l'algèbre grâce à la notion de groupe.

En fait c'est ça, Évariste avait le sens du groupe. (Un sens qui ne nuirait pas à la gauche d'aujourd'hui, si elle avait le souci d'éviter à nous citoyens les restaurations destructrices qui menacent).

Car cette même nuit, si compté que lui fût le temps, il écrivit aussi un manifeste À tous les républicains.

Il était sûr de son génie mathématique et tenait à transmettre sa recherche. Mais il a pris le temps de parler de la vraie vie, la vie bousculée de ces temps, sans se cantonner au monde serein des mathématiques.

Seulement, même s'il pensait vite, ça faisait beaucoup à écrire tout ça, en une courte nuit. Sur le manuscrit où il expose ses découvertes et donne à grands traits les démonstrations, il concède qu'il faudrait entrer dans le détail du raisonnement, « mais je n'ai pas le temps » note-t-il à plusieurs reprises.

Excuse poignante d'un génie encore à l'aurore de lui-même, qui sait qu'il va mourir bêtement à l'aube sur un pré, qu'il ne pourra pas déployer ses ailes, qu'il restera à jamais une promesse que d'autres mathématiciens devront tenir à sa place.

Avec quel effroi a-t-il dû songer que le manuscrit pouvait se perdre, qu'il pouvait, sur ce maudit pré, mourir au carré en quelque sorte.

Ce ne fut pas le cas : il y a un dieu pour les mathématiques CQFD. Mais pas hélas pour un jeune mathématicien et ses vingt ans brûlés au pistolet.

 

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