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L'heure de la récré

 

« L'homme ordinaire ne se préoccupe que de passer le temps, l'homme de talent que de l'employer. La raison pour laquelle les têtes bornées sont tellement exposées à l'ennui, c'est que leur intellect n'est absolument pas autre chose que l'intermédiaire des motifs pour la volonté. Le résultat est une effroyable stagnation de toutes les forces de l'individu entier : l'ennui.

Pour le combattre, on insinue sournoisement à la volonté des motifs petits, provisoires, choisis indifféremment afin de la stimuler et de mettre par là également en activité l'intellect qui doit les saisir. De tels motifs sont le jeu de cartes ou autres. À leur défaut, l'homme borné se mettra à tambouriner ou à tapoter avec tout ce qui lui tombe sous la main. Le cigare aussi lui fournit de quoi suppléer aux pensées. » 

Schopenhauer (Aphorismes sur la sagesse de la vie)

 

Freud (qui doit beaucoup à Schopenhauer pour sa conception de la nature humaine) semble répondre très précisément à ce passage dans une lettre à Lou Andreas-Salomé. Il lui explique, plaisamment comme il sait le faire, qu'il est en train d'écrire un livre « tout à fait superflu » (il s'agit de Malaise dans la culture).

« Mais que pouvais-je faire d'autre ? Il n'est pas possible de fumer et de jouer aux cartes toute la journée. Je ne peux plus faire de longues marches et la plupart des choses qu'on lit ont cessé de m'intéresser. J'écris et le temps passe ainsi très agréablement. »

Versons au dossier une dernière citation.

« Si quelqu'un me dit que c'est avilir les muses de s'en servir seulement de jouet et de passetemps, c'est qu'il ne sait pas, comme moi, combien vaut le plaisir, le jeu et le passetemps. » (Essais Livre III chap 3 De trois commerces)

Voilà le plus convaincant sur un plan vraiment philosophique.

Du moins si l'on admet que l'être humain n'a rien de plus sensé à faire que d'essayer d'être aussi heureux et aussi peu malheureux que possible. Ce que la philosophie a posé dès l'origine (moi pas tout de suite mais j'ai fini par y venir).

Or ne nous y trompons pas : pour faire le bonheur, le divertissement (passer le temps) et l'activité ou création (l'employer) sont beaucoup plus semblables qu'on ne le croit et que Schopenhauer ne veut bien le dire ici.

Lui-même ne parlerait pas de l'ennui s'il ne le connaissait intimement, et pas si bien s'il n'avait su construire à partir de lui.

Il se peut que les échappatoires à l'ennui ne produisent pas grand chose en général. Mais à lire les Essais ou Malaise dans la culture, pareillement écrits pour passer le temps, on se dit que la question n'est pas l'ennui en soi, mais qui s'ennuie.

Si l'ennui d'un homme ordinaire (terme qu'il faudrait définir je l'admets, je m'y mettrai si je m'ennuie) est juste du temps perdu, avec un génie le temps perdu ne peut que se retrouver en création.

Hegel ?

a)il a employé son temps à sécréter l'ennui

b) il aurait donc mieux fait de jouer aux cartes (mais aurait-il trouvé des partenaires?)

c)on s'en fout, ne perdons pas notre temps, lisons plutôt Schopenhauer. Et Nietzsche, Freud, Spinoza.

Ou mieux : affilions-nous au club de bridge le plus proche.

 

 

 

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