La mort et le mourant (livre VIII,1) n'a pas peur de la casser, l'ambiance.
La mort ne surprend point le sage : il est toujours prêt à partir,
S'étant su lui-même avertir./Du temps où l'on doit se résoudre à ce passage.
(Voilà un je ne sais quoi de stoïcien qui surprend chez La Fontaine. Quoique ?)
Eh oui c'est comme ça la vie (dit le narrateur) : tiens bien à jour ton memento mori, vu que la mort peut te tomber dessus d'une seconde à l'autre.
Ce temps, hélas ! embrasse tous les temps:
Qu'on le partage en jours, en heures, en moments,
Il n'en est point qu'il ne comprenne/Dans le fatal tribut ; tous sont de son domaine.
Avec la mort le temps ne fait donc rien à l'affaire. Ni rien d'autre non plus.
Alléguez la beauté, la vertu, la jeunesse,
La mort ravit tout sans pudeur.
Tiens c'est vrai ça : si ne mouraient que les vieux, les méchants, les moches, ça relèverait le niveau global de l'humanité, non ?
On a donc ici la preuve que la mort ne pratique pas l'eugénisme. Un bon point pour elle. (Comme quoi faut pas voir tout en noir).
Bref la voici qui se pointe chez un mourant qui comptait plus de cent ans de vie.
« Est-il juste qu'on meure au pied levé ? » dit-il.
Il demande un délai sous divers prétextes : assurer un avenir au petit-fils (ah ça y est tu me calcules, Pépé ?), ajouter une aile à (son) logis (pour qui va du fauteuil au lit et puis du lit au lit : encore un projet immobilier qui cache quelque chose).
Et l'argument du gentleman : Ma femme ne veut pas que je parte sans elle (pas besoin d'être Freud pour décoder : je le vois bien, elle et son amant attendent que je dégage, et ça m'enrage. Mettez-vous à ma place).
Mais la mort n'est pas du genre à se laisser embrouiller.
Trouve-moi dans Paris/Deux mortels aussi vieux.
Hey man, t'as eu le temps de me voir venir. Et puis regarde les choses en face : plus de goût, plus d'ouïe ;/Toute chose pour toi semble être évanouie.
Tu y tiens tant que ça à ta vie de légume ?
La Mort avait raison. Je voudrais qu'à cet âge
On sortît de la vie ainsi que d'un banquet,
Remerciant son hôte, et qu'on fît son paquet.
Sauf que comme dit Montaigne si la vieillesse était une assurance-sagesse ça se saurait.
Tu murmures, vieillard ; vois ces jeunes mourir. Il est seulement pathétique, le vieux accroché à la vie sans avoir plus rien à vivre. Mais il y a une vraie tragédie : la mort du jeune qui a la vie devant soi.
Jusqu'au scandale parfois.
Vois-les marcher, vois-les courir
A des morts il est vrai, glorieuses et belles (ça c'est vite dit),
Mais sûres cependant, et quelquefois cruelles (là on est d'accord).
Le scandale, c'est qu'il y ait des vieux pour envoyer à la mort des petits jeunes, sous divers prétextes : religieux, nationalistes, crapuleux (ça peut se cumuler).
Le plus semblable aux morts meurt le plus à regret. Bon, tant pis pour lui. (Mais bel alexandrin quasi racinien, non ?)
L'ennui, c'est quand il tue sans aucun remords.
Commentaires
Tiens, c'est vrai ça, plus on est vieux plus on tient à la vie.
Mais c'est peut-être parce que les jeunes n'imaginent même pas qu'ils pourraient mourir.
Ou parce que les vieux ont vu davantage de morts.
A force d'en voir on finit par s'intéresser au sujet.
En tout cas voila une note bien de saison.
"Une note de saison", oui hélas à beaucoup trop de points de vue : ce serait bien que de temps en temps la mort décide de faire un break surtout côté guerre tout ça ...