« Margaritas ante porcos »
= (ne pas jeter) des perles aux porcs
La nuit tombe, et Lucette est seule dans l'omnibus.
Seule, triste, lasse. Ses pensées sont moroses, grises comme les banlieues qu'elle traverse.
Il lui disait, son Ulysse, qu'elle était sa sirène, sa Circé, sa Calypso. Elle l'a cru. Elle savait pourtant qu'elle aurait dû se méfier, qu'il ne fallait pas le croire sur parole.
C'était qu'un charmeur, un enjôleur, un malin. Lui quoque, sicut les autres.
Mais ouvre donc oculos tuos, disaient ses amies, tu vois bien qu'il te mène en bateau. T'as pas eu assez de déboires ? Sois lucide, Lucette, tu es en train d'aller de Charybde en Scylla. Tu crois vraiment qu'il t'aime ?
Mais elle persistait. Oui credo, répondait-elle, contre vents et marées je le crois.
C'est trop beau pour être vrai, c'est absurde, mais je crois que c'est pour ça que je le crois. Credo quia absurdum.
Et elle lui a tout donné, Lucette, à son Ulysse. Tout le trésor de son cœur, ses pierres précieuses, ses diamants, ses perles de pluie venues de pays où il ne pleut pas.
Enfin un jour elle s'est rendue à l'évidence. Il n'avait fait que profiter de sa naïveté, sa soif d'amour. Alors maintenant elle a envie de balancer, Lucette : cet homme n'était pas un héros, mais un salaud, un porc.
Toutes ses perles perdues pour ce porc.
Sa sirène, tu parles …
La vérité, c'est que son histoire d'amour desinit in piscem, s'est bêtement terminée en queue de poisson.
Alors à présent les diamants brillent dans ses yeux, à Lucette, les perles pleuvent de ses paupières.
Et pourtant elle avait droit au bonheur, elle aussi.
Car le soleil brille pour tout le monde. Sol lucet omnibus.
Mais là c'est la nuit, et Lucette est seule dans l'omnibus.