La famille est donc si l'on veut le premier modèle des sociétés politiques ; le chef est l'image du père, le peuple est l'image des enfants, et tous étant nés égaux et libres n'aliènent leur liberté que pour leur utilité (Livre I,2 Des premières sociétés)
Si l'on veut n'a pas un sens fort, c'est en quelque sorte.
Sauf que la famille de naissance de Rousseau, ou celle qu'il n'a pas voulu fonder (en abandonnant ses enfants), ne sont pas vraiment du modèle standard. Du coup ce si l'on veut sonne autrement, s'imprègne d'un sous-texte.
Cette phrase amène aussi l'évocation de sociétés ou de régimes politiques qui ont tenté d'inventer d'autres premiers modèles que la famille (avec des buts comme des méthodes parfois discutables).
Toute la différence est que dans la famille l'amour du père pour ses enfants le paye des soins qu'il leur rend, et que dans l'État le plaisir de commander supplée à cet amour que le chef n'a pas pour ses peuples.
La conjonction pouvoir/amour n'est pas envisagée. Voilà de quoi détromper ceux qui croient Rousseau citoyen d'honneur de Bisounoursland.
Me frappe aussi le rejet implicite d'un devoir filial de reconnaissance envers les parents (style après tout ce que j'ai fait pour toi). L'amour paternel ici non seulement n'attend pas de retour, mais il constitue en soi sa récompense : amour à la fois gratuit et non sacrificiel.
Trop beau pour être vrai ? En tous cas Rousseau ne dit pas de mal de son père dans les Confessions. Pour l'absence de la mère dans le système, on rappellera si on est gentil qu'il n'a pas connu la sienne, morte à sa naissance (grosse culpabilité trimballée toute sa vie).
Sinon on dira que tout Rousseau qu'il soit, il n'a pas su dépasser le préjugé phallocrate de son époque, comme il apparaît dans l'éducation réservée à Sophie comparée à celle d'Émile.
Sur le sujet des fondations des sociétés, Grotius et Hobbes sont épinglés (et Aristote égratigné) pour leur justification des inégalités (y aurait des chefs-nés et des esclaves-nés) : ils prennent l'effet pour la cause.
Les esclaves perdent tout dans leurs fers, jusqu'au désir d'en sortir (…) La force a fait les premiers esclaves, leur lâcheté les a perpétués. (JJ connaît son La Boétie).
Mais ce que je préfère dans ce chapitre est la fin. Rousseau y tourne en dérision le concept de monarchie de droit divin, dérision combinée à une souriante auto-ironie (dont il fait preuve plus souvent qu'on ne croit).
Je n'ai rien dit du roi Adam, ni de l'empereur Noé (…) J'espère qu'on me saura gré de cette modération ; car, descendant directement de l'un de ces princes (...), que sais-je si par vérification des titres je ne me trouverais point le légitime roi du genre humain ?
Quoi qu'il en soit, on ne peut disconvenir qu'Adam n'ait été souverain du monde comme Robinson de son île, tant qu'il en fut le seul habitant.
Commentaires
Amour et pouvoir : comme cela sonne d'actualité, et comme tu as eu le nez fin, chère Ariane, lorsqu'on écoute la déclaration sirupeuse et pathétique de notre président, qui ne vit et ne se bat que pour nous, et pour qui les excès des casseurs sont des déclarations d'amour déçues ! Emmanuel n'aurait pas lu Rousseau ? Brigitte, à l'aide !
Je ne sais pas qui a lu Rousseau dans toute cette histoire , en fait. Je crains qu'il n'y ait chez beaucoup une confusion sur le concept de" volonté générale" interprétée comme "volonté de tout un chacun". (Mais on en parlera plus loin - si tu ne t'es pas découragé de lire !). Quant à Manu, je trouve que son attitude fait système avec celle qui consiste à tout attendre de Papa Président, et en même temps à vouloir sa tête, à demander qu'il parle et à dire que de toutes façons on n'écoutera pas. Il se débat dans l'impossible, j'aimerais pas être à sa place. (Curieusement il y en a plein qui voudraient ...)
A part ça, comment revivifier notre précieuse démocratie ?