« De ce que nous imaginons une chose semblable à nous, que nous n'avons poursuivie d'aucun affect, affectée d'un certain affect, nous sommes par là même affectés d'un affect semblable. »
(Spinoza Éthique part.3 prop.27)
La géométrie spinoziste se fait ici clairement optique. Cette proposition pose un dispositif spéculaire (en miroir) dans lequel l'affect se produit moyennant la seule imagination (formation d'une image) d'une chose semblable à nous.
Dans la mesure ou nous construisons de l'autre cette image semblable à nous (tel un reflet de nous-mêmes), cet autre a beau nous être indifférent, poursuivi d'aucun affect de notre part, nous assimilons notre affect à celui que nous lui supposons.
Et l'autre fait de même avec nous.
Ce phénomène de projection constitue l'inter-subjectivité humaine, dans laquelle la pensée ou le sentiment de l'autre ne sont accessibles que par ce que je peux en spéculer.
(Et réciproquement pour lui bien sûr).
Une savoureuse illustration en est donnée par l'histoire juive bien connue que Freud rapporte dans Le mot d'esprit dans son rapport avec l'inconscient.
« Dans une gare de Galicie, deux Juifs se rencontrent dans un train.
'Où vas-tu ?' demande l'un. 'À Cracovie', répond l'autre.
'Regardez-moi ce menteur !' s'écrie le premier furieux. 'Si tu dis que tu vas à Cracovie, c'est bien que tu veux que je croie que tu vas à Lemberg. Seulement, moi je sais que tu vas vraiment à Cracovie. Alors pourquoi tu mens ?' »
Lacan complétera cette réflexion sur la spéculation dans Le séminaire sur La lettre volée qui inaugure les Écrits.
Il rappelle le passage où le détective Dupin explique son truc pour résoudre les cas les plus énigmatiques. « J'ai connu un enfant de huit ans, dont l'infaillibilité au jeu de pair ou impair faisait l'admiration universelle ».
Quand Dupin lui demande comment il fait pour deviner son adversaire à tous les coups, l'enfant formule ce parfait usage des neurones miroirs, qui pourrait être un corollaire de la prop. 27 ci-dessus :
« Quand je veux savoir jusqu'à quel point quelqu'un est circonspect ou stupide, jusqu'à quel point il est bon ou méchant, et quelles sont actuellement ses pensées, je compose mon visage d'après le sien, aussi exactement que possible, et j'attends alors pour savoir quelles pensées ou quels sentiments naîtront dans mon esprit ou dans mon cœur, comme pour s'appareiller et correspondre avec ma physionomie. »
(Edgar Allan Poe. La lettre volée. Histoires extraordinaires)
De ce qu'il ressent il déduit ce que l'autre ressent, de là il déduit comment il raisonne, et de là comment lui répondre pour gagner. CQFD. Huit ans et déjà parfait géomètre ...