La troisième étoile filante laissa dans le ciel d'été une traînée d'un blanc argenté qui brillait comme du givre.
Et Madeleine qui n'était pas frileuse en ce temps-là fit le vœu d'aller en voyage au Pôle Nord. Là-bas où, au milieu des glaces éternelles, les Esquimaux chassent l'ours blanc et découpent la peau des phoques.
La vieille Madeleine, tendant ses mains vers le feu de bois, hoche la tête en souriant. Non, elle n'est jamais allée au Pôle Nord. Le plus au Nord où elle soit allée dans sa vie, c'est à Amsterdam avec Léon, pour fêter un anniversaire de mariage.
Il pleuvait et il faisait froid, ça tombait mal : ils avaient dû se replier au musée au lieu de flâner le long des canaux. Ah mais non, ça n'était pas mal tombé. Elle se souvient de la somptuosité des fleurs, des étoffes, de la présence si proche des visages sur la toile, de leur évidence.
Et pourtant c'étaient des choses perdues, des gens morts depuis si longtemps.
Elle se souvient, surtout, du tableau qu'elle préféra, ce jour de pluie au musée : La Ronde de nuit. Longtemps, elle était restée devant la petite fille blonde qui courait, une enfant de lumière qui arrivait jusqu'à elle depuis le fond noir du grand tableau, depuis la nuit du temps où dormait à jamais le grand Rembrandt.
Non, elle n'est pas allée au Pôle Nord, mais bon : elle a vu tant de documentaires à la télé, qu'elle a l'impression d'avoir fait plusieurs séjours sur la banquise et dormi dans des igloos enfumés tandis que le blizzard transperçait la nuit polaire. Oui, au fond, Madeleine ne peut pas dire que la troisième étoile filante n'a pas exaucé son vœu.
C'est autrement qu'elle l'avait imaginé, c'est tout.
À vue d'étoile de toutes façons, le Pôle Nord et la latitude, nettement plus méridionale, où était posé son poste de télé dans sa maison devaient se confondre.
Exactement comme à vue d'étoile, elles nichaient peut être dans le même endroit du temps, la petite fille de lumière qui traversait le tableau comme une étoile filante, et elle la vieille Madeleine immobile à côté de son feu.
Peut être aussi dans le même endroit du temps, vue de l'étoile, le grand Rembrandt son pinceau à la main.