Freud a mentionné plus haut (cf Autres évaluations 5/16) la discrimination possible des foules en fonction du temps, entre foules éphémères ponctuellement rassemblées, et foules structurées au long cours.
Il en envisage une autre, à ses yeux plus déterminante encore « la distinction entre foules sans meneur (Führer) et celles avec meneur. »
Il la développe en analysant Deux foules artificielles : l'église et l'armée. (Titre chap.5 Psychologie des foules et analyse du moi.)
Artificielles ? « C'est à dire qu'une certaine contrainte extérieure est mise en œuvre pour les préserver de la dissolution et éviter des modifications quant à leur structure. »
En clair ce sont des institutions que le souci premier de se préserver en tant que telles rend intolérantes à toute dissidence (hérésie, objection de conscience etc).
Et par conséquent (Freud ne le dit pas, mais ça va sans dire) en délicatesse avec la vérité, ferventes pratiquantes du mensonge par omission.
Secret défense de la grande Muette (justifié parfois, parfois dévoyé), secret de la confession, fabuleuse omerta cléricale d'un si bel usage pour l'édification de la jeunesse.
Dans ces foules artificielles « prévaut le même mirage (illusion) qu'un chef suprême est là (…) qui aime tous les individus de la foule d'un égal amour. De cette illusion, tout dépend. » Elle est le ciment des liens entre enfoulés à tous niveaux.
« Il est indubitable que le lien unissant chaque individu isolé au Christ est également la cause de leurs liens mutuels. Il en va pareillement pour l'armée ; le commandant en chef est le père, qui aime tous ses soldats également, et c'est pourquoi ils sont camarades entre eux. »
L'analyse de ces deux foules reste largement pertinente. Ce que ce chapitre amène en outre, c'est la perception du fonctionnement totalitaire, comme y invite le terme de meneur.
À cet égard, le fascisme italien et le nazisme n'en étaient certes qu'à leurs balbutiements. En revanche la lucidité sur les dérives du régime soviétique naissant était déjà possible. Et autres encore.
« Si un autre lien à la foule prend la place du lien religieux, ce à quoi le lien socialiste semble actuellement parvenir, il en résultera la même intolérance envers ceux de l'extérieur qu'au temps des guerres de religion, et si les différences de points de vue dans les sciences pouvaient jamais avoir pour les foules une importance analogue, c'est également pour ce motif que le même résultat se reproduirait. »
Encourageant, non ?