Montaigne termine De l'âge (Essais I,57) sur l'idée vieillir ou ne pas vieillir n'est pas la question. Le temps ne fait rien à l'affaire, l'emploi du temps si.
« Quant à moi, j'estime que nos âmes sont dénouées à vingt ans ce qu'elles doivent être, et qu'elles promettent tout ce qu'elles pourront (…)
De toutes les belles actions humaines qui sont venues à ma connaissance, de quelque sorte qu'elles soient, je penserais en avoir plus grande part à nombrer celles qui ont été produites, et aux siècles anciens et au nôtre, avant l'âge de trente ans que après. » (I,57)
Perso je ferais remarquer qu'on peut quand même nombrer nombre de beaux actes, grandes découvertes et créations accomplies en un âge mûr (ou même blet). Mais soit, voyons ce que nous dit la perception personnelle de Montaigne.
« Quant à moi, je tiens pour certain que depuis cet âge et mon esprit et mon corps ont plus diminué qu'augmenté, et plus reculé qu'avancé.
Il est possible qu'à ceux qui emploient bien le temps, la science et l'expérience croissent avec la vie ; mais la vivacité, la promptitude, la fermeté, et autres parties bien plus nôtres, plus importantes et essentielles, se fanissent et s'alanguissent. » (I,57)
Conception physiologique dirait Nietzsche, matérialiste même. À l'appui de laquelle Montaigne apporte une citation de Lucrèce (c'est logique).
« Quand les coups vigoureux du temps ont tassé notre corps, quand nos forces s'émoussent et que nos membres s'affaissent, l'esprit cloche, la langue et la pensée radotent. » (De rerum natura III 451)
Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait, dit le proverbe, qui sous-entend par là que vieillesse saurait. Montaigne et Lucrèce disent ici : vieillesse ne peut plus grand chose, et quant à savoir faut pas trop y compter non plus.
Certes les vieux peuvent faire valoir une certaine expérience, mais la savent-ils vraiment, la pensent-il vraiment ? C'est loin d'être sûr pour beaucoup.
Il y a un vieux savoir qui est juste enkystement dans le passé. Comme si la pensée se lestait des lassitudes du corps.
Déjouer ce fanissement, cet alanguissement, est nécessaire pour bien employer le temps qu'il reste. C'est à dire rester apte à une pensée authentique, aux changements de paradigmes qu'elle implique.
Ainsi on pourra actualiser son expérience, la transmettre. Faire qu'elle ne reste pas lettre morte.
Conclusion : vieux ou pas, essayons le gai savoir.
« C'est le pays de vos enfants que vous devez aimer. »
(Ainsi parlait Zarathoustra)