« Le suicide est la seule vraie question philosophique. » dit Camus.
« C'est ce qu'on dit (abonde Montaigne) que le sage vit tant qu'il doit, non pas tant qu'il peut ; et que le présent que nature nous ait fait le plus favorable, et qui nous ôte tout moyen de nous plaindre de notre condition, c'est de nous avoir laissé la clef des champs. »
(Essais II, 3 Coutume de l'île de Cea)
Pour certains vieux ou vieillissants, le choix d'anticiper, de décider du moment, est parfois présenté comme moyen d'éviter une fin et une mort indignes (ainsi l'a pensé par exemple Romain Gary).
Cependant, tout bien pesé, Montaigne est de l'avis de ceux qui trouvent qu'il y a bien plus de constance à user la chaîne qui nous tient qu'à la rompre, et plus d'épreuve de fermeté en Regulus qu'en Caton. (En contre exemple cette fois, à toutes les sauces ce pauvre Caton).
« C'est contre nature que nous nous méprisons et mettons nous-mêmes à nonchaloir (indifférence) ; c'est une maladie particulière, et qui ne se voit en aucune autre créature, de se haïr et se dédaigner. C'est de pareille vanité que nous désirons être autre chose que ce que nous sommes. » (II,3)
Autre chose que ce que nous sommes ...
Ne pas s'accepter vieux n'est-ce pas au fond refuser d'être ce que l'on est aujourd'hui, au nom de ce qu'on a été hier ? En fait c'est un comportement réactionnaire.
Certes accepter de vieillir n'implique pas le laisser aller, on doit à soi-même et aux autres d'essayer de vieillir aussi en forme et présentable que possible.
Mais si, pour continuer à ressembler à ses photos de jeunesse, on en devient la caricature dont le grotesque s'accentue de déni en déni, on n'est plus que pathétique. De même au plan psychologique, moral. Il est pathétique de se suggestionner pour retrouver ardeurs et enjouements de nos temps plus jeunes.
Bien sûr ne plus être qui on a été, jeune beau actif, n'est pas facile. Un verre à moitié vide (aux trois quarts en fait), on s'en plaint c'est naturel. Mais avec ce qui reste dans le verre on peut se contenter, au sens fort, d'être qui l'on est aujourd'hui. Vieux ? Et alors ?
Ma mère m'a dit un jour, vers ses derniers temps : Je suis vieille c'est pas drôle. Mais si j'étais pas vieille je serais morte. Dans sa phrase en forme de lapalissade, j'ai entendu un peu d'humour et beaucoup d'humilité.
Accepter le mieux que rien de la vieillesse est comme un dernier hommage à la vie qui nous a été donnée. Le niveau du verre importe peu pour dire la chose qui compte : lekh haïm !
Pour revenir à la question du suicide, Montaigne conclut qu'il existe tout de même des arguments recevables pour y recourir.
« La douleur insupportable et une pire mort me semblent les plus excusables incitations. »
Je suis d'accord.
Mais bon comme dirait Bartleby*
I would prefer not to.
*Herman Melville Bartleby le scribe (Les contes de la véranda.1856)