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  • (15/21) Plutôt non

    « Le suicide est la seule vraie question philosophique. » dit Camus.

    « C'est ce qu'on dit (abonde Montaigne) que le sage vit tant qu'il doit, non pas tant qu'il peut ; et que le présent que nature nous ait fait le plus favorable, et qui nous ôte tout moyen de nous plaindre de notre condition, c'est de nous avoir laissé la clef des champs. »

    (Essais II, 3 Coutume de l'île de Cea)

     

    Pour certains vieux ou vieillissants, le choix d'anticiper, de décider du moment, est parfois présenté comme moyen d'éviter une fin et une mort indignes (ainsi l'a pensé par exemple Romain Gary).

    Cependant, tout bien pesé, Montaigne est de l'avis de ceux qui trouvent qu'il y a bien plus de constance à user la chaîne qui nous tient qu'à la rompre, et plus d'épreuve de fermeté en Regulus qu'en Caton. (En contre exemple cette fois, à toutes les sauces ce pauvre Caton).

    « C'est contre nature que nous nous méprisons et mettons nous-mêmes à nonchaloir (indifférence) ; c'est une maladie particulière, et qui ne se voit en aucune autre créature, de se haïr et se dédaigner. C'est de pareille vanité que nous désirons être autre chose que ce que nous sommes. » (II,3)

     

    Autre chose que ce que nous sommes ...

    Ne pas s'accepter vieux n'est-ce pas au fond refuser d'être ce que l'on est aujourd'hui, au nom de ce qu'on a été hier ? En fait c'est un comportement réactionnaire.

    Certes accepter de vieillir n'implique pas le laisser aller, on doit à soi-même et aux autres d'essayer de vieillir aussi en forme et présentable que possible.

    Mais si, pour continuer à ressembler à ses photos de jeunesse, on en devient la caricature dont le grotesque s'accentue de déni en déni, on n'est plus que pathétique. De même au plan psychologique, moral. Il est pathétique de se suggestionner pour retrouver ardeurs et enjouements de nos temps plus jeunes.

    Bien sûr ne plus être qui on a été, jeune beau actif, n'est pas facile. Un verre à moitié vide (aux trois quarts en fait), on s'en plaint c'est naturel. Mais avec ce qui reste dans le verre on peut se contenter, au sens fort, d'être qui l'on est aujourd'hui. Vieux ? Et alors ?

    Ma mère m'a dit un jour, vers ses derniers temps : Je suis vieille c'est pas drôle. Mais si j'étais pas vieille je serais morte. Dans sa phrase en forme de lapalissade, j'ai entendu un peu d'humour et beaucoup d'humilité.

    Accepter le mieux que rien de la vieillesse est comme un dernier hommage à la vie qui nous a été donnée. Le niveau du verre importe peu pour dire la chose qui compte : lekh haïm !

     

    Pour revenir à la question du suicide, Montaigne conclut qu'il existe tout de même des arguments recevables pour y recourir. 

    « La douleur insupportable et une pire mort me semblent les plus excusables incitations. »

    Je suis d'accord.

    Mais bon comme dirait Bartleby*

    I would prefer not to.

     

    *Herman Melville Bartleby le scribe (Les contes de la véranda.1856)

     

  • (14/21) Bon conseil

    À la fin tu es las de ce monde ancien dit Apollinaire (Zone. In Alcools. 1913).

    Cette phrase me vient souvent à l'esprit en ce moment.

     

    Je sais Montaigne n'approuverait pas ce propos désabusé autant que défaitiste. Mais enfin Ariane je ne te l'apprends pas (me dirait-il)

    « Qui vit jamais vieillesse qui ne louât le temps passé et ne blamât le présent, chargeant le monde et les mœurs des hommes de sa misère et de son chagrin ? »

    (Essais II,13 De juger de la mort d'autrui)

     

    D'accord alors disons qu'en fait la vraie fin c'est plutôt quand on est las de son ancienneté dans ce monde.

    Euh, bon : là c'est Spinoza me conseillerait de remuscler mon acquiescentia in me ipsa.

     

    Mais Freud me comprendrait mieux j'en suis sûre.

    Pour une raison simple. Montaigne est mort à 60 ans pas tout à fait, Spinoza à 45, ce gamin (je les vois désormais un peu comme des petits frères, ça me fait rire).

    Mais Freud lui s'est fait vieux, atteignant un âge que sans doute je n'atteindrai pas.

     

    Sauf que, c'est vrai, même vieux et las, il a su conserver des intérêts et des activités, tenu par le désir de continuer à penser, à écrire (ne manquerait-il pas de me faire remarquer).

    OK OK. Je dois me rendre à leur raisons, rester au diapason de leur raison.

    Toute lassitude qu'il me cause, le monde dans lequel je vis est le mien.

     

    Je m'avise que le lecteur-trice va trouver que je ne me mouche pas du coude en convoquant à mon usage ces grands exemples.

    Pour ma défense, indulgent lecteur, sache que je ne fais que suivre un conseil avisé :

    « Présentez-vous toujours en l'imagination Caton, Phocion et Aristides en la présence desquels les fols mêmes cacheraient leurs fautes, et établissez-les contrerôleurs (vérificateurs) de toutes vos actions »

    (Essais I,39 De la solitude)

     

    Phocion, Aristides, ces deux-là je sais même pas qui c'est, et je m'en fiche comme de l'an quarante : qu'ils pensent ce qu'ils veulent. Et Caton pareil.

    Mais Monsieur des Essais, Monsieur de l'Éthique et ce cher Papa Freud : là ça mérite que je fasse gaffe.

     

  • (13/21) L'ombre de ton chien

     

    « J'ai donné un nom à ma douleur et je l'appelle chien. »

    (Le Gai savoir 312)

     

    Nietzsche émouvant dans sa fragilité et son humilité.

    Aucune théâtralisation, aucun exhibitionnisme de sa douleur.

    Pas de lutte non plus, juste la notation de sa présence d'animal de compagnie.

    Il l'a apprivoisée, dressée, il en est le maître, mais un maître compréhensif, amical.

    Cette phrase m'évoque l'énigmatique toile de Goya intitulée Le Chien. Je crois qu'elle dit la même chose.

     

    Le vieillissement aussi peut se voir comme un animal de compagnie.

    À vos côtés se tient désormais un vieux chien moche, perclus, ralenti, au regard amati. Il s'est mis à vous suivre comme votre ombre.

     

    C'est qu'en fait, il l'est, votre ombre. Il fut le jeune chiot jouant d'un rien, il fut le chien agile et endurant qui vous accompagnait dans vos plus longues courses. Il fut le chien de garde qui montrait les dents devant les menaces.

    Aujourd'hui c'est ce vieux clébard fatigué aux pattes amollies et aux griffes usées. Il est toujours votre ombre. C'est juste que vous êtes devenu l'ombre de vous-même.

     

    Je n'ai rien contre les chiens.

    (Enfin (presque) plus rien : ma phobie canine s'estompe. Je ne sais d'où elle était venue, je ne sais pourquoi elle s'en va. Qu'importe pourvu qu'elle me lâche).

    Je n'ai rien contre les chiens, mais si je devais donner un nom à mon vieillissement, je l'appellerais plutôt escargot.

    Mais non, pas pour la lenteur (ni pour la bave, quand même j'en suis pas là).

     

    Pour la coquille où l'on peut se réfugier.