« Moulant sur moi cette figure, il m'a fallu si souvent dresser et composer pour m'extraire, que le patron s'en est fermi et aucunement (d'une certaine façon) formé soi même.
Me peignant pour autrui, je me suis peint en moi de couleurs plus nettes que n'étaient les miennes premières.
Je n'ai pas plus fait mon livre que mon livre m'a fait, livre consubstantiel à son auteur, d'une occupation propre, membre de ma vie ; non d'une occupation et fin tierce et étrangère comme tous les autres livres. »
(Montaigne Essais II,18 Du démentir)
Ces phrases denses rendent compte à la fois du processus de création et de son incidence sur le créateur.
Livre consubstantiel à son auteur.
C'est souvent le cas, particulièrement dans l'autobiographie où l'être réel de l'auteur est le matériau de la création.
Mais ce que Montaigne remarque en outre c'est que dans ce processus d'écriture à la première personne, a lieu entre l'énonciateur de la parole, être virtuel, et l'auteur, être réel de chair et d'os, disons (pardon, Montaigne à la plume subtile), un effet feed-back.
Cet aller-retour continu finit par produire une assimilation intime de l'auteur et de son œuvre. C'est pourquoi la plus juste façon de nommer Montaigne est à mon sens Monsieur des Essais.*
À propos de substance, je complète avec ceci :
« Ainsi, lecteur, je suis moi-même la matière de mon livre. » (Au lecteur)
J'entends dans cette phrase la polysémie du mot matière.
Il s'agit de matière concrète (comme dans la métaphore du sculpteur ci-dessus), de son être de chair (corps et psychisme), mais il s'agit en même temps de soi comme matière d'étude.
Seulement la notion d'étude peut renvoyer à un aspect disons universitaire (pédantesque dirait Montaigne) du titre Essais, entendu comme exposition de thèses.
C'est pourquoi Monsieur des Essais met les points sur les i dans de nombreux passages, dont le plus explicite est à mon sens celui-ci.
« Ce n'est pas ci ma doctrine (enseignement), c'est mon étude (recherche) ; et ce n'est pas la leçon d'autrui, c'est la mienne. Et ne me doit-on savoir mauvais gré pourtant, si je la communique. Ce qui me sert, peut aussi par accident servir à un autre.
Au demeurant, je ne gâte rien, je n'use que du mien. Et si je fais le fol, c'est à mes dépens (à mes frais) et sans l'intérêt de personne (sans qu'il en coûte à personne). »
(II,6 De l'exercitation)
*cf publié sous mon nom réel : Montaigne antistress Ed de l'Opportun 2014.
Antistress est le nom de la collection, j'ai pas eu le choix de mon titre (sans compter autres désagréments) (mais bon je suis pas là pour régler de vieux comptes) (quoique ?)