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Et quand personne ne me lira (1/17) De bonne foi

J'entreprends un petit parcours sur le rapport de Montaigne à l'écriture, à ses Essais. Montaigne encore ? Ben oui. Il me fait du bien, pourquoi m'en priver ?

Et pourquoi ne pas espérer qu'il t'en fasse aussi, lectrice-teur ?

 

« C'est ici un livre de bonne foi, lecteur. » (Essais. Au lecteur)

Par cette phrase toute simple, Montaigne formule un pacte avec son lecteur. De fait, il y toujours un pacte entre auteur et lecteur, même si la plupart du temps il reste implicite.

Il porte différents accents selon les différents genres.

 

Par exemple un livre documentaire posera le pacte : moi auteur je m'engage à t'apporter, lecteur, les infos que tu cherches sur tel sujet. Un thriller posera : je vais essayer de te donner le frisson dont tu as envie. Et ainsi de suite.

Le couple auteur/lecteur, Montaigne l'unit en nouant l'alliance sincérité/confiance. Elle est caractéristique de l'autobiographie, ce que sont en partie les Essais.

« Je te donne ma parole que j'écris de bonne foi, dans la sincérité : tu peux donc me donner en échange ta bonne foi à toi, ta confiance. »

 

Oui mais, dira le lecteur, un tel pacte est-il sérieusement crédible ?

N'y a-t-il pas la toujours la tentation d'enjoliver les faits quand on parle de soi, de se donner le beau rôle ? Ou tout simplement de se conformer aux attentes supposées du destinataire ?

« Je n'y ai eu nulle considération de ton service ni de ma gloire. (…) Si c'eût été pour rechercher la faveur du monde, je me fusse mieux paré et me présenterais en une marche étudiée.

Je veux qu'on m'y voie en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans contention et artifice : car c'est moi que je peins. (…)

je t'assure que je m'y fusse très volontiers peint tout entier, et tout nu. »

 

Je souligne le mot car, pour la raison qu'il est paradoxal dans ce contexte.

Se peindre soi-même crée logiquement une tension, voire un conflit, entre objectif et subjectif, perception interne et personnelle (qui risque de manquer de lucidité) et perception par l'extérieur, par les autres.

Conflit qu'aurait dû marquer, non pas un car, mais un bien que.

 

Or Montaigne renverse les choses : c'est bien sa place subjective qui sera garantie d'objectivité. Tel est le paradoxe fondamental de son livre.

Dans les Essais l'analyse radicale d'un ego en subvertit le narcissisme, et la revendication de singularité de la parole en libère la potentialité universelle.

 

Quant à se peindre tout entier et tout nu, eh bien il le fera, dans un élan à la fois osé et émouvant. Tu peux aller voir, lecteur-trice : livre III chap. 5 Sur des vers de Virgile.

 

Commentaires

  • Existe-t-il un essai sur les écrits littéraires où l'auteur apostrophe son lecteur ? Ce serait une belle idée d'anthologie, non ?

  • Ce serait un travail énorme, car des apostrophes au lecteur il y en a dans tous les genres, avec beaucoup de motivations différentes ! Mais ça doit bien exister ...

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