Vu la longueur du film, voilà je le savais : j'ai besoin d'aller faire pipi.
Ça m'énerve, il y a un suspense d'enfer, mais bon la vessie commande j'y peux rien. Je dis à Mimi je vais faire pipi, elle grommelle sans cesser de fixer l'écran, je la comprends.
J'espère quand même qu'elle me fera un résumé de ce qui va m'échapper.
Je me faufile dans la rangée avec force pardon madame pardon monsieur désolée, je râle en moi-même : fichue soumission aux besoins du corps qui nous ramène au réel animal.
À quoi je me réponds ne méprise pas la face animale de la manière humaine, pour le dire avec Spinoza (oui même vessie pleine je ne peux m'empêcher de philosopher).
Bref pour ne pas perdre le fil du scénario, comprendre un minimum quand je reprendrai ma place, je me dépêche. Puis, accomplie la mission d'honorer mon réel animal, je regagne la salle fissa.
Mais quand j'arrive, le choc : plus personne, plus une seule place occupée.
Sur l'écran le film n'a pas cessé de se dérouler, sauf qu'il n'y a plus personne pour le regarder. Que moi. Qui d'ailleurs ne le regarde plus.
Le film qui se joue dans la salle, avec moi pour personnage principal (ou dois-je dire unique ? ...) m'accroche désormais bien davantage.
Un suspense aussi réel que les besoins du corps, un suspense qui commence à me donner des sueurs froides.
J'éprouve une impression bizarre. D'un coup je me vois marcher de plain pied dans un espace flou, indéfinissable (unheimlich selon l'expression de Freud, me dis-je) (oui même en pleine crise d'angoisse je ne peux m'empêcher d'analyser).
J'essaie de crier, d'appeler Mimi, je n'y arrive pas. Le son se bloque dans ma gorge, je manque d'air. J'ai peur.
Je suis perdue dans une dimension inconnue, jusqu'alors insoupçonnée, où quelque chose (quelqu'un ?) m'a balancée sans crier gare.
Je vois bien les mêmes sièges, au même velours rouge un peu râpé, les rangées disposées en larges demi-cercles, je vois encore briller sur chaque bord de l'écran les lumières des issues de secours.
Issues. Voilà.
Aller dehors, m'échapper.
Oui mais si jamais dehors il se passe la même chose ? Je ne peux imaginer survivre seule dans un monde vidé de mes semblables.
Ou alors pire : si jamais dehors il y a … quelqu'un ? …
Quelque chose ? ...
Commentaires
Une séance de cauchemar !