Pour être heureux, être fou : très bien. Mais comment ?
« J'ai délibéré en mon cœur de traîner ma chair dans le vin » (Qo 2, 3)
Non mais sérieux : Traîner ma chair dans le vin ? Ça veut dire quoi : prendre un bain au Château-Yquem ? Boire ou traduire faut choisir, les mecs. Ou alors ils ont fumé (pour rester dans le contexte) un tapis offert par la reine de Saba à Salomon ?
Ils essaient de se rattraper avec la note : le vin représente ici les jouissances matérielles. On comprend ce qu'ils ont en tête : j'ai décidé de traîner dans les bars, où le vin me donnera accès à d'autres jouissances matérielles.
En clair tu fais boire la meuf pour la pécho plus facilement.
À mon humble avis, c'est voir les choses par le petit bout de la lorgnette, si j'ose dire. Je pense que l'idée de ce verset rejoint plutôt ceci :
« L'action des stupéfiants dans le combat pour le bonheur et le maintien à distance de la misère est à ce point appréciée comme un bienfait que les individus, comme les peuples, leur ont accordé une solide position dans leur économie libidinale (…)
Ne sait-on pas qu'avec l'aide du 'briseur de souci' (le vin, référence à un poème de Goethe) on peut se soustraire à chaque instant à la pression de la réalité et trouver refuge dans un monde à soi offrant des conditions de sensations meilleures ? »
(Freud. Malaise dans la culture chap.2)
Plus parlant, non ?
Freud continue :
« Il est connu que c'est précisément cette propriété des stupéfiants qui conditionne aussi leur danger et leur nocivité. Ils portent le cas échéant la responsabilité de ce que de grands montants d'énergie qui pourraient être utilisés pour l'amélioration du sort des hommes se trouvent perdus sans profit. »
(Au passage, on voit le rapport, Sigmund l'avait en tête j'en suis sûre, avec la notion marxiste d'opium du peuple).
Le Qohélet, lui, continue ainsi :
« Mon cœur s'est conduit avec sagesse pour saisir la folie, le temps de voir ce qu'il est bien pour les fils de l'adam de faire sous le ciel, pendant les jours comptés de leur vie »
(je panache ici les deux traductions dont je dispose, pour aller au plus clair) (c'était pas gagné).
Saisir la folie mais juste le temps de voir. Car il semble se dire : le briseur de souci, ça va un moment, vu que mes jours sont comptés.
Je vais arrêter de perdre du temps et de grands montants d'énergie que je ferais mieux d'utiliser, en temps que roi, pour l'amélioration du sort des hommes.
Et déjà pour l'amélioration de mon propre sort, en tant que moi.
Commentaires
"Boire ou traduire", là vous faites fort, Ariane ;-).
"Traîner ma chair dans le vin" j'ai trouvé ça tellement absurde comme expression : je ne pense pas que les traducteurs m'en veuillent de cette mise en boîte. Il faudrait déjà qu'ils lisent ce blog, ce qui est hautement improbable ...
En tous cas je suis bien contente d'avoir une lectrice fidèle et attentive, merci Tania !