Une question se pose, comme toujours dans la lecture biblique, à propos du statut de la figure divine.
Dans le livre de Qohélet elle est lointaine, impénétrable, d'un piètre secours pour faire face à la vanité et la dureté de la condition humaine.
Ce n'est pas la figure consolante du ps 125 par exemple :
« Je lève mes yeux vers les montagnes. D'où viendra mon aide ?
YHWH est ton gardien, YHWH est ton ombre à ta main droite. » (v.1 et 5)
Ici ce serait presque le contraire, je dirais (cf 7/16). En outre, ni immortalité de l'âme, ni justice transcendante : impossible d'espérer compensation dans un au-delà qui chante.
Cette absence, à tout le moins l'infinie distance de ce dieu lointain, on peut s'en désespérer, s'en révolter.
Le livre du Qohélet commence ainsi dans le tragique métaphysique. Mais très vite il lui apparaît que la question métaphysique est passible de vanité, comme toute autre (cf 12/16).
Que faire alors ?
On peut tenter de combler le vide métaphysique par un absolu de rechange, et pour cela investir sur un mode eschatologique la politique, un quelconque projet, une idéologie ...
Solution moderne qui n'effleure pas plus le Qohélet que les autres philosophes antiques de sa famille d'esprit, stoïciens, épicuriens.
Reste alors à faire le deuil de l'absolu. Et rabattre la vaine question métaphysique sur l'enjeu éthique, celui qui est à notre portée.
C'est dans cet esprit que le Qohélet résume la torah :
«Crains Dieu et observe les commandements, car c'est là tout l'humain.» (cf 15/16)
Crains Dieu, c'est à dire laisse-le à distance respectueuse : la torah se moque de la métaphysique. En revanche elle sait donner à l'homme quelques lumières (cf 15/16) pour faire bien l'homme, dans les limites, la relativité de sa condition humaine.
« Tout ce que ta main se trouve capable de faire, fais-le par tes propres forces » dit Qohélet.
Conception humaniste, qui ne peut que nous ramener à son meilleur lecteur sous le soleil.
« Quoi qu'on nous prêche, il faudrait toujours se souvenir que c'est l'homme qui donne et l'homme qui reçoit. »
(Montaigne Essais II,12 Apologie de Raimond Sebon)
Pas faux, non ? Et du coup sacrée responsabilité ...
Commentaires
Chère Ariane,
J'ai vraiment aimé cette lecture de Qohélet. Sa poésie surtout. En lisant la conclusion, ça me fait penser à Camus. J'y lis un peu l'engagement à être présent au monde, puisqu'il est entendu que nous agissons de toute façon sur fond de mort sans espoir ni raison possible.
Le rapprochement est peut-être hasardeux, mais je voulais apporter ma petite pierre. Ou bien mon gros rocher !
Tout à fait d'accord avec ton rapprochement, fort éclairant. On a tous en nous quelque chose de ce bon vieux Sisyphe. Et le mieux à faire est encore de l'imaginer heureux ...
Et merci de me lire, ça c'est du bonheur.
Ma prochaine série devrait bien t'intéresser aussi, tu verras, je n'en dis pas plus.
(Si c'est pas du teasing, ça ...)
« Tout ce que ta main se trouve capable de faire, fais-le par tes propres forces » : à retenir, à pratiquer.
Merci pour cette série, Ariane.
Et merci de ta lecture, Tania. Oui j'aime beaucoup cette phrase, qui dit la responsabilité humaine dans sa simplicité et sa grandeur. "A pratiquer" : en effet, et c'est pas le plus facile !