Les écrits de philosophie politique de Germaine de Staël (1766-1817) sont d'un intérêt égal à ceux de Tocqueville, voire de Rousseau (normal pour la fille de Necker éduquée en citoyenne genevoise).
Pourtant on ne voit généralement en elle que la femme de lettres qui a écrit des romans d'amour. Moyennant sa double culture, elle a ouvert en France la voie au romantisme, ce nouveau mouvement qui naissait en Allemagne.
Mais bon : littérature, romantisme, sentiments, des trucs de bonne femme, non ? Alors que penser, philosopher, qui plus est en politique, voilà une affaire qui mérite d'être préemptée par les hommes.
Précisément Germaine revendique de penser la politique, d'en faire, à égalité avec les hommes. Mais pas comme la plupart de ceux qu'elle a vus à l'œuvre (ou à la destruction), enflammés d'ambition* et d'esprit de parti*.
« Je ne sais pourquoi il serait plus difficile d'être impartial dans les questions de politique que dans les questions de morale : certes, les passions influent autant que les gouvernements sur le sort de la vie, et cependant, dans le silence de la retraite, on discute avec sa raison les sentiments qu'on a soi-même éprouvés ;
il me paraît qu'il ne doit pas en coûter plus, pour parler philosophiquement des avantages ou des inconvénients des républiques et des monarchies, que pour analyser avec exactitude l'ambition, l'amour, et telle autre passion qui a décidé de notre existence. »
(De l'influence des passions sur le bonheur des individus et des nations.Introduction)
Elle va ainsi affirmer l'enjeu radicalement éthique de la démocratie moderne. Malgré son implication dans les événements, elle a su trier le bon grain de l'ivraie dans la Révolution de France. Ce que peu ont su faire à chaud, dans le feu de l'action.
Révolutionnaire aussi convaincue que lucide, elle considère que la mise en place d'une démocratie juste, efficace et pérenne est le cadeau de progrès que la Révolution peut et doit faire à l'humanité. Pour cela il faut arriver selon son expression à la terminer, à lui donner la forme la plus accomplie possible.
Ce qui suppose de la débarrasser de deux dangers aussi mortels l'un que l'autre, dont elle fait tout au long de ses écrits ressortir la similitude en miroir.
D'un côté le sectarisme des terroristes, répudiant une république de débat et de compromis au profit d'une dictature d'auto-proclamés représentants exclusifs du peuple.
De l'autre la psycho-rigidité, l'esprit anti-progrès des royalistes accrochés à l'idée réactionnaire de restauration.
De fait, si la Révolution dérape avec la terreur et la dictature des Comités, c'est surtout (pas seulement) parce que les royalistes deviennent de plus en plus réactionnaires. Ultras contre ultras, faucons contre faucons, on connaît toujours cela.
Au milieu, pris en étau, des modérés, dont Germaine de Staël, cherchant une démocratie apaisée et vraiment participative.
*Titre de deux de ses essais. La lecture de l'esprit de parti est précisément l'objet de ce parcours.
Commentaires
Je rouvre mon Lagarde & Michard, dont j'aimais que le XIXe s'ouvre avec "Madame de Staël" en premier. "Intelligence précoce", "raisonneuse" - "mais elle est enthousiaste, passionnée, exaltée jusqu'au délire" - "partout où elle passe, elle déchaîne le scandale ou l'adoration."
Le plaisir d'ouvrir l'anthologie avec une femme écrivain est gâché par les critiques qui la dévalorisent tout en ajoutant : "Pourtant son influence sera considérable."
Aussi je vous remercie, Ariane, déjà pour cette belle épithète en titre, et je vais vous relire illico.
Bien vu, Tania ! Ah ces bons vieux Lagarde et Michard, tout le charme du vintage ... Mais pour cette condescendance bien masculine, j'y trouve moins de charme, me too.