« L'esprit de parti unit les hommes entre eux par l'intérêt d'une haine commune, mais non par l'estime ou l'attrait du cœur (…) l'on n'établit les relations d'attachement et de reconnaissance qu'entre les personnes du même avis : la limite de son opinion est aussi celle de ses devoirs (…)
Les grandes qualités d'un homme qui n'a pas la même religion politique que vous ne peuvent être comptées par ses adversaires ; les torts, les crimes mêmes de ceux qui partagent votre opinion, ne vous détachent pas d'eux. »
Germaine de Staël (De l'esprit de parti)
Il est troublant de constater combien ces remarques peuvent s'appliquer aujourd'hui au mécanisme de morcellement tous azimuts à l'œuvre dans la société.
En politique, passer dans l'opposition après une élection équivaut à mener une guérilla constante contre le pouvoir. Histoire de justifier leur réflexe pavlovien d'opposition, certains s'emploient même à répandre le soupçon d'illégitimité non seulement sur leurs concurrents, mais sur les procédures du suffrage démocratique, pour la raison qu'il les a évincés.
Gageons que s'ils se trouvent un jour élus selon ces procédures, ils revendiqueront sans vergogne leur absolue légitimité ...
Mais les dégâts de cet esprit de parti exacerbé dépassent le cadre des structures politiques. Aux deux extrêmes si l'on peut dire. La religion politique utilise en certains cas la religion tout court, et l'esprit de parti se mue en idéologies que certains caractérisent comme de nouveaux fascismes.
Mais aussi, et de manière plus fondamentale encore peut être, l'esprit de parti se met à imprégner tous les rapports sociaux.
Les divergences d'opinion et d'intérêts ne travaillent plus guère à se résoudre dans un débat régulé, argumenté, fondé sur le double garde-fou de la rationalité et de la réalité. Les différences font l'objet d'absurdes partitions quasi-ethniques dans la recherche d'une identité victimaire*.
Sur les réseaux dits sociaux** l'on voit gagner la viralité des phénomènes pulsionnels d'adhésion ou d'exclusion, au détriment du débat, ou simplement de l'échange et du dialogue.
Ce n'est pas (seulement) ici scrogneunisme ronchon d'une sexagénaire. Je renvoie aux analyses de jeunes adultes de la génération internet***. Réconfort en les lisant : si jeunesse et vieillesse savent ensemble, elles pourront ensemble.
*cf l'analyse (et l'expérience) de Caroline Fourest dans Génération offensée (Grasset 2020)
**expression d'Éric Sadin (Le règne de l'individu tyran. Grasset 2020) Pour ma part je dis carrément les résasociaux.
***La société du sans contact (François Saltiel Flammarion 2020)
J'ai vu naître le monstre (Samuel Laurent Les Arènes 2021)
Le populisme au secours de la démocratie ? (Chloé Morin Gallimard le Débat 2021)
Commentaires
Ces observations n'ont pas pris une ride, merci Ariane. Considérer l'opposition comme un rôle à jouer quelles que soient les circonstances est une façon, entre autres, de miner nos régimes démocratiques.