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Staël l'impartiale (10/14) Comme une espèce de dictature

« (L'esprit de parti) s'empare de vous comme une espèce de dictature qui fait taire toutes les autorités de l'esprit, de la raison et du sentiment :

sous cet asservissement, pendant qu'il dure, les hommes sont moins malheureux que par le libre arbitre qui reste encore aux autres passions ;

dans celle-là, la route qu'il faut suivre est commandée comme le but qu'on doit atteindre : les hommes dominés par cette passion sont inébranlables jusque dans le choix de leurs moyens ; ils ne voudraient pas les modifier, même pour arriver plus sûrement à leur objet :

les chefs, comme dans toutes les religions, sont plus adroits, parce qu'ils sont moins enthousiastes ; mais les disciples se font un article de foi de la route autant que du but. »

Germaine de Staël (De l'esprit de parti)

 

Voilà qui appelle à nouveau la référence à l'analyse freudienne (cf 8/14).

La dictature en question est double, une sorte de fusée à deux étages.

C'est d'abord celle du fonctionnement en processus primaire (en gros celui du ça freudien), qui ignore les médiations logiques et temporelles, « qui fait taire toutes les autorités de l'esprit, de la raison et du sentiment. »

« la foule ne supporte aucun délai entre son désir et la réalisation de ce qu'elle désire (…) Extraordinairement suggestible et crédule, elle est dépourvue d'esprit critique, l'invraisemblable n'existe pas pour elle. »

note Freud de son côté (Psychologie des foules et analyse du moi chap.2)

 

Dictature du pulsionnel qui peut ouvrir la voie à l'emprise d'un chef (gourou, führer, guide) dans la mesure où il sait manier les modes du processus primaire pour en fonder son pouvoir.

La mise en place d'un assujettissement parfaitement caractérisé par Germaine : « les chefs, comme dans toutes les religions, sont plus adroits, parce qu'ils sont moins enthousiastes ; mais les disciples se font un article de foi de la route autant que du but. »

 

C'est que le chef, expliquera Freud, est mis par ses suiveurs à la place de leur idéal du moi.

Emprise complexe où la soumission au chef devient dans un absurde retournement une affirmation d'identité. L'enthousiasme à suivre caractérisant le partifié selon Germaine rejoint à mon sens l'analyse de la personnalité d'Eichmann par Hannah Arendt*.

Déficit d'intériorité, inaptitude à l'autonomie, déni de responsabilité personnelle : les ingrédients de la banalité du mal. En effet, note encore Germaine,

« Il n'est point de passion qui doive plus entraîner à tous les crimes, par cela même que celui qui l'éprouve est enivré de meilleure foi, et que le but de cette passion n'étant pas personnel à l'individu qui s'y livre, il croit se dévouer en faisant le mal, conserve le sentiment de la vertu en commettant les plus grands crimes. »

Dès l'instant qu'il croit se dévouer, être dans la vertu en accomplissant le pire mal, parce qu'il est sous l'emprise de sa foi aveugle aux paroles du chef qui le délivre des affres du libre-arbitre, le partifié devient une arme sans affect, un robot. 

 

*Eichmann à Jérusalem : rapport sur la banalité du mal (1963)

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