« Au demeurant, je ne suis pressé de passion ou haineuse ou amoureuse envers les grands (…) Je regarde nos rois d'une affection simplement légitime et civile (1), ni émue ni démue (2) par intérêt privé. De quoi je me sais bon gré.
La cause générale et juste ne m'attache non plus que modérément et sans fièvre (…) La colère et la haine sont au-delà du devoir de la justice, et sont passions servant seulement à ceux qui ne tiennent pas assez à leur devoir par la raison simple ; toutes intentions légitimes et équitables sont d'elles-mêmes équables(3) et tempérées, sinon elles s'altèrent en séditieuses et illégitimes.
C'est ce qui me fait marcher par tout la tête haute, le visage et le cœur ouvert.
À la vérité, et ne crains point de l'avouer, je porterais facilement au besoin une chandelle à S. Michel, l'autre à son serpent(4) (...)
Je suivrai le bon parti jusqu'au feu, mais exclusivement si je puis. »
(Montaigne Essais livre III chapitre 1 De l'utile et de l'honnête)
(1)En tant que citoyen.
(2)Ni provoquée ni détournée.
(3)Susceptibles de tendre à l'égalité (d'humeur).
(4)Selon la légende, l'archange Michel affronta un dragon figurant les forces du mal.
Je trouve fort pertinente (et tellement actuelle) l'observation psychologique : on se dope aux passions (haine et colère surtout), par insuffisance de désir pour la raison, pas assez glamour la pauvre.(a)
Ce qui du coup jette en effet un soupçon sur la légitimité et l'équité des intentions. Veut-on convaincre, ou veut-on vaincre ?
Quant à la dernière phrase, je vois Montaigne l'écrire en souriant derrière sa moustache. Exactement comme Brassens chantant Mourons pour des idées d'accord mais de mort lente ...
(a)Voir à ce propos l'article Misère de la radicalité de Raphaël Enthoven dans le premier numéro (17 novembre) de l'hebdo Franc-Tireur.