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Je ne suis pas philosophe

« Les plus menus et grêles empêchements sont les plus perçants ; et comme les petites lettres offensent(1) et lassent plus les yeux, aussi nous piquent plus les petites affaires. La tourbe(2) des menus maux offense plus que violence d'un, pour grand qu'il soit.(...)

Je ne suis pas philosophe ; les maux me foulent(3) selon qu'ils pèsent ; et pèsent selon la forme comme selon(4) la matière, et souvent plus.

J'en ai plus de connaissance que le vulgaire, si j'ai plus de patience. En fin, s'ils ne me blessent, ils m'offensent. C'est chose tendre que la vie et aisée à troubler. Depuis que j'ai le visage tourné vers le chagrin, pour sotte cause qui m'ait porté(5) j'irrite l'humeur de ce côté-là, qui se nourrit après et s'exaspère de son propre branle ; attirant et amoncelant une matière sur autre, de quoi se paître.(6)

Ces ordinaires gouttières me mangent(7). Les inconvénients ordinaires ne sont jamais légers. »

(Montaigne Essais livre III chapitre 9 De la vanité)

 

(1)Le mot n'est pas employé au sens moral, mais au sens concret de gêner, faire mal.

(2)La foule, du latin turba.

(3)Produisent l'effet d'une foulure, donc réduisent l'autonomie de mouvement. Et au sens figuré, gênent le déploiement de la pensée vers autre chose.

(4)Selon comme selon : autant que (un latinisme encore).

(5)Pour insignifiante que soit la chose qui m'a atteint.

(6)Description clinique de l'effet d'obnubilation des pensées.

(7)Métaphore qui dit l'érosion de la résistance psychique : les gouttières sont je suppose des infiltrations d'eau qui mangent, effritent un pan de mur.

 

J'adore ce passage : il m'aide à me sentir moins ridicule quand il m'arrive de stresser toute une journée pour un rien, un petit choc au contact de la rugueuse réalité. Il serait insensible à beaucoup, mais il va venir fouler mon dynamisme intérieur. Tant ma sérénité est chose aisée à troubler ...

 

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