« Au rebours des autres, je me trouve plus dévot en la bonne qu'en la mauvaise fortune (…) et fais plus volontiers les doux yeux au ciel pour le remercier que pour le requérir.
J'ai plus de soin d'augmenter la santé quand elle me rit, que je n'ai de la remettre quand je l'ai écartée(1). Les prospérités me servent de discipline et d'instruction, comme aux autres les adversités et les verges.
Comme si la bonne fortune était incompatible avec la bonne conscience, les hommes ne se rendent gens de bien qu'en la mauvaise.
Le bon heur m'est un singulier aiguillon à la modération et modestie. La prière me gagne, la menace me rebute ; la faveur me ploie, la crainte me roidit. »
(Montaigne Essais livre III chapitre 9 De la vanité)
(1)Quand je suis à l'écart d'elle.
Comme si la bonne fortune était incompatible avec la bonne conscience, les hommes ne se rendent gens de bien qu'en la mauvaise. Cette phrase sonne comme celle d'un moraliste désabusé. Elle pourrait être signée de La Rochefoucauld, La Bruyère …
Il y en a un certain nombre de ce style dans le livre, inspirées par la corruption du siècle (cf ma note précédente). Montaigne ne développe pas en général, mais comme ici on mesure le poids d'un non-dit.
Pour ma part il me semble entendre le soupir résigné qui suit cette phrase, le « blanc » avant la reprise du discours. Genre : hélas j'y peux rien, bon ben je vais me contenter de parler de moi : le bon heur m'est un singulier aiguillon ...