« Socrates, qui a été un exemplaire parfait en toutes grandes qualités, j'ai dépit qu'il eût rencontré un corps et un visage si vilain, comme ils disent(1), et disconvenable à la beauté de son âme, lui si amoureux et affolé de beauté. Nature lui fit injustice. Il n'est rien plus vraisemblable que la conformité et relation du corps à l'esprit.(...) Celui-ci(2) parle d'une laideur dénaturée et difformité de membres.
Mais nous appelons laideur aussi une mésavenance(3) au premier regard, qui loge principalement au visage, et souvent nous dégoûte par bien légères causes : du teint, d'une tache, d'une rude contenance, de quelque cause inexplicable sur des membres bien ordonnés et entiers. La laideur qui revêtait une âme très belle en La Boétie était de ce prédicament.(4) »
(Montaigne Essais livre III chapitre 12 De la physionomie)
(1)Dit-on.
(2)Cicéron, dont il vient de citer un propos allant dans ce sens.
(3)Le fait de ne pas être avenant, le manque de charme.
(4)De cette sorte.
La Boétie était donc laid (en tous cas au goût de Montaigne). La mention de cette laideur est l'occasion de faire à son ami le plus grand des compliments en le comparant à Socrate. Qui lui-même se compare à une de ces boîtes en forme de silènes, figures grotesques, dans lesquelles on cachait des choses précieuses.
Je veux bien, mais pourquoi insister ainsi sur la mésavenance de La Boétie ? Avait-il été blessé d'entendre railler l'apparence de son ami ?
À moins que lui-même ne se reproche de ne pas l'avoir trouvé beau ? Et en veuille à la nature injuste, qui n'a pas gratifié la belle âme de La Boétie du beau visage qui aurait dû aller avec ?
« Il semble qu'il y ait aucuns visages heureux, d'autres malencontreux. »
Un visage heureux, explique-t-il, est en harmonie avec le caractère. Un visage malencontreux, lui, produit un effet de dissonance.
Du coup il vaut mieux le visage malencontreux d'une belle âme, que le visage heureux d'une canaille ? Oui oui mais n'empêche
« Je ne puis dire assez souvent combien j'estime la beauté qualité puissante et avantageuse. »