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L'encre et le papier

« J'ai vu faire des livres de choses ni jamais étudiées, ni entendues, l'auteur commettant à divers de ses amis savants la recherche de (…) matière à les bâtir, se contentant pour sa part d'en avoir projeté le dessein et empilé par son industrie ce fagot de provisions inconnues ; au moins est sien l'encre et le papier.

Cela c'est en conscience acheter ou emprunter un livre, non pas le faire. C'est apprendre aux hommes, non qu'on sait faire un livre, mais, ce de quoi ils pouvaient être en doute, qu'on ne sait pas le faire. »

(Montaigne Essais livre III chapitre 12 De la physionomie)

 

Une manière de faire des livres (ou plutôt non-faire) à rapporter à un mode de rapport au savoir, à la réflexion, à la philosophie, et finalement à la vie, que Montaigne qualifie souvent de pédantesque. Le terme de pédant désigne au départ quelqu'un qui enseigne, sans forcément de connotations négatives. Mais Montaigne vise ceux parmi les enseignants qui sont du genre donneurs de leçons, et souvent sans se les appliquer à eux-mêmes. Des tartuffes doublés de faiseurs. (Et qui en plus ici font surtout travailler les autres).

Les Essais procèdent de la démarche exactement inverse : ce n'est pas la leçon d'autrui, c'est la mienne. (Essais II, 6 De l'exercitation). D'autrui s'entend aux deux sens.

D'abord, même si l'œuvre naît de ses lectures, de ses conférences (entretiens) avec les uns (et unes) et les autres, elle n'est pas répétition de mots et pensées d'autrui, mais dialogue avec eux, expérience existentielle à leur contact.

Et l'écrit qui en découle n'est pas une leçon, mais une non-leçon. Je m'essaie à dire ce que je fais, ce que je pense, qui je suis, mais surtout ne me répétez pas, ne m'imitez pas.

Je m'essaie. Vous, essayez-vous.

 

Commentaires

  • Montaigne ne compile pas, il jubile... d'écrire ? Blague à part, voici un beau billet. S'il n'est ni d'encre ni de papier, il est bien écrit.

  • Merci Tania. En fait j'essaie d'allier dans mes lectures la compilation et la jubilation. Avec Montaigne la première n'est parfois pas aisée, mais la seconde toujours au rendez-vous ...

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