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Quarante jours en transe

« Voici un autre rengregement(1) de mal qui m'arriva à la suite du reste. En dehors et dedans ma maison, je fus accueilli d'une peste, véhémente au prix de toute autre.(2)

Car, comme les corps sains sont sujets à plus grièves maladies (…) aussi mon air très salubre, où d'aucune mémoire la contagion, bien que voisine, n'avait su prendre pied, venant à s'empoisonner, produisit des effets étranges.(...)

J'eus à souffrir cette plaisante condition que la vue de ma maison m'était effroyable. Tout ce qui y était était sans garde, et à l'abandon de qui en avait envie.

Moi qui suis si hospitalier, fus en très pénible quête de retraite pour ma famille ; une famille égarée, faisant peur à ses amis, et à soi-même, et horreur où qu'elle cherchât à se placer, ayant à changer de demeure sitôt qu'un de la troupe commençait à se douloir du bout du doigt.

Toutes maladies sont prises pour pestes ; on ne se donne pas le loisir de les reconnaître. Et c'est le bon que, selon les règles de l'art, à tout danger qu'on approche il faut être quarante jours en transe de ce mal, l'imagination vous exerçant ce pendant à sa mode et enfiévrant votre santé même.

Tout cela m'eût beaucoup moins touché si je n'eusse eu à me ressentir de la peine d'autrui, et servir six mois misérablement de guide à cette caravane. »

(Montaigne Essais livre III chapitre 12 De la physionomie)

 

(1)Aggravation.

(2)Il s'agit de l'épidémie de peste en Guyenne, juin-décembre 1585.

 

Toute ressemblance avec d'autres épidémies n'est pas fortuite ... 

Pour ce qui est de la peste, on oublie souvent qu'en dehors des épisodes majeurs du milieu du XIV°siècle (qui décima l'Europe entière) et du milieu du XVII° siècle (peste arrivée par le port de Marseille, et dont la Provence garde trace dans les pierres sèches du mur de la peste), l'agent pathogène, toujours présent à l'état endémique, se réveillait régulièrement à l'occasion de famines, de guerres. Ce qui est le cas pour celle que connut Montaigne, dont il décrit les ravages sur l'ensemble de la région dans les lignes suivant ce passage : paysans décimés, agriculture à l'arrêt, familles séparées, certains si déprimés qu'ils cessaient d'essayer d'éviter la maladie ...

Mais voyons le verre à moitié plein, l'épidémie peut être inspiratrice de créations artistiques : les fresques de danses macabres sur les murs des églises, Der Tod in Venedig de Thomas Mann, Le Hussard sur le toit de Giono, l'Heptaméron de Marguerite de Navarre …

 

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