« Le jugement tient chez moi un siège magistral, au moins il s'en efforce soigneusement ; il laisse mes appétits aller leur train, et la haine et l'amitié, voire et celle que je me porte à moi-même, sans s'en altérer et corrompre.
S'il ne peut réformer les autres parties selon soi, au moins ne se laisse-t-il pas difformer à elles : il fait son jeu à part. »
(Montaigne Essais livre III chapitre 13 De l'expérience)
Quelques décennies avant Spinoza, Montaigne développe ici la même conviction éthique : la perfection morale importe peu, ce n'est jamais au fond qu'un truc entre soi et soi. Un problème narcissique d'Ich-Ideal (dira Freud pour sa part). Ce qui compte est comment on agit.
C'est pourquoi le jugement est considéré ici non tant comme faculté intellectuelle ou morale que comme le moyen de se déterminer, d'arrêter concrètement une conduite. Ainsi lorsque le tribunal rend un jugement, un arrêt, qui doit être suivi d'effets.
La question, comme pour Spinoza, n'est donc pas de supprimer les affects (impossible de toutes façons), mais de s'efforcer soigneusement de réduire leur éventuelle nocivité envers soi et les autres. Avec la raison pour juge de paix.