« Dieu fait grâce à ceux à qui il soustrait la vie par le menu ; c'est le seul bénéfice de la vieillesse. La dernière mort en sera d'autant moins pleine et nuisible ; elle ne tuera plus qu'un demi ou un quart d'homme.
Voilà une dent qui vient de choir, sans douleur, sans effort : c'était le terme naturel de sa durée. Et cette partie de mon être et plusieurs autres sont déjà mortes, autres demi mortes, des plus actives et qui tenaient le premier rang pendant la vigueur de mon âge. C'est ainsi que je fonds et échappe à moi. »
(Montaigne Essais livre III chapitre 13 De l'expérience)
On voit ici une fois de plus combien Montaigne s'est assimilé la pensée antique du stoïcisme et de l'épicurisme, et de quelle aide a été pour lui cette nourriture.
À vrai dire, cette façon d'envisager la mort comme un processus et non comme un événement, pour rationnelle qu'elle soit, je ne la trouve pas si consolante que cela. Bénéfice de la vieillesse que de perdre la vie par le menu ? On peut aussi bien dire que c'est démultiplier la perte que de la rencontrer régulièrement, de ne plus cesser de la rencontrer à partir d'un certain moment de sa vie.
Mais que l'acceptation de la perte puisse faciliter la vie, comme on dit, quand la vie décline : oui je crois que c'est vrai aussi. Je fonds et échappe à moi : cela peut se voir et se ressentir comme un allègement, un lâcher prise.
Une façon d'éviter les combats inutiles, les combats d'arrière-garde.