« n°37 : Trois fois par erreur.
On a, ces derniers siècles, favorisé le développement de la science en partie parce que l'on espérait avec elle et grâce à elle comprendre le mieux possible la bonté et la sagesse de Dieu – motif fondamental de l'âme des grand Anglais (comme Newton) –,
en partie parce que l'on croyait à l'utilité absolue de la connaissance, notamment à la liaison la plus intime de la morale, du savoir et du bonheur – motif fondamental de l'âme des grands Français (comme Voltaire) –,
en partie parce que l'on pensait posséder et aimer dans la science quelque chose de désintéressé, d'inoffensif, d'autosuffisant, de vraiment innocent, d'où seraient totalement exclues les pulsions mauvaises de l'homme – motif fondamental de l'âme de Spinoza, qui, en tant qu'homme de connaissance, se sentait divin :
– trois fois par erreur, donc. »
(Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Premier livre)
Pensée bien désabusée … Pourtant, quelles que soient leurs motivations, les croyances qu'il mentionne ont bel et bien été un canal de progrès. Non seulement dans le domaine de la science, mais aussi dans celui de la politique, des sociétés.
Du coup ces réflexions attirent l'attention sur la valeur performative des croyances. Qui est bien sûr à double tranchant. Si la foi de Newton en un Dieu bon, celle de Voltaire dans la raison, celle de Spinoza dans la connivence entre nature et raison humaine, ont eu des effets positifs, c'est qu'elles étaient elles-mêmes des croyances positives. Ce qui, justes ou pas, peut justifier leur énonciation.
On peut en revanche rejoindre l'appréhension de Nietzsche : la performativité d'une croyance négative est aussi forte, si ce n'est davantage. Et elle peut faire des ravages, réduire en peu de temps les si fragiles acquis du développement de la science, de la rationalité.
Je pense inutile de donner des exemples …