« n°284 : La foi en soi-même.
Peu d'hommes possèdent de manière générale la foi en eux-mêmes : – et dans ce petit nombre, les uns la reçoivent en partage, comme un aveuglement utile ou une éclipse partielle de leur esprit – (que découvriraient-ils s'ils pouvaient se voir jusqu'au fond !), les autres doivent d'abord travailler à l'acquérir : tout ce qu'ils font de bien, de remarquable, de grand est avant tout un argument contre le sceptique qu'ils hébergent : il s'agit de convaincre et de persuader celui-ci, et il faut presque du génie pour cela. Ce sont les grands difficiles envers soi-même. »
(Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Quatrième livre)
Peu d'hommes : et alors je vous dis pas pour les femmes … Qui sont particulièrement sujettes au « complexe de l'imposteur ».
Complexe dont ces lignes révèlent nettement la présence chez Friedrich. Comme quoi malgré toutes les bêtises qu'il a pu dire sur nous, les filles, il savait bien qu'en fait il était plutôt de notre côté, dans le genre humain.
Quand on est en proie à ce complexe, c'est en effet un gros travail, je dirais presque une ascèse, que d'acquérir la confiance en soi. Un travail dont Nietzsche trouve la formulation parfaite : arriver à voir dans ses réalisations des arguments contre le sceptique que l'on héberge en soi. Et c'est pas si facile.
Mais on voit aussi dans ce passage que malgré la difficulté, la souffrance parfois, d'être ainsi, Friedrich n'aurait pas pour autant aimé être de ceux qui possèdent d'emblée cette foi en soi. Aveuglement, éclipse partielle de l'esprit : ça sent pas la grande estime …
Que découvriraient-ils s'ils pouvaient se voir jusqu'au fond ?
Parfois (je ne dis pas toujours) devant certains de ces croyants d'eux-mêmes (je ne dis pas tous) on n'hésite pas pour la réponse : rien, peut être ? Ou disons le vide de leur vanité.
Après, c'est vrai que cet aveuglement est utile pour bien se placer dans la société, voire susciter une sorte de culte en étant le prophète de soi-même.
« Cette crédulité dans son propre mérite a bien quelques-uns des avantages de tous les cultes fondés sur une ferme croyance. »
(G. de Staël De la vanité)
Commentaires
Chère Ariane,
Je ne suis que de très loin en très loin ce parcours sur Nietzsche, mais j'ai pensé à toi en relisant récemment "L'insoutenable légèreté de l’être". Il y a ce passage dans la dernière partie dans lequel Kundera évoque Nietzsche prenant dans ses bras l'encolure d'un cheval que son cocher est en train de fouetter, éclatant en sanglots et lui demandant pardon. Puissant et lumineux.
Laurent
Oui l'épisode célèbre du cheval de Turin, qui marque le commencement de la phase finale de la maladie mentale de Nietzsche (phase finale de 10 ans quand même, à végéter ...). Le film hongrois qui en a été tiré parle du destin du cheval, film austère en noir et blanc, tentant j'imagine un rapprochement métaphorique avec le sombre destin de Friedrich . J'avoue j'aurais préféré un biopic simple et documenté. Kundera, lui, comme tu dis, sait allier la puissance et la luminosité, la clarté.