« n°354 : Du ''génie de l'espèce''.
(…) Il me semble que la finesse et la force de la conscience sont toujours liées à la capacité de communication d'un homme (ou d'un animal), et que la capacité de communication est liée à son tour au besoin de communication. (…) La conscience n'est proprement qu'un réseau de relations d'homme à homme. (…)
Et par conséquent, chacun de nous, en dépit de toute sa volonté de se comprendre lui-même de manière aussi individuelle que possible, de ''se connaître soi-même'', ne prendra jamais conscience que du non-individuel en lui, de sa ''moyenne'', – notre pensée même est continuellement, en quelque sorte, mise en minorité par le caractère de la conscience – par le ''génie de l'espèce'' qui commande en elle – et se voit retraduite dans les perspectives du troupeau. »
(Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Cinquième livre)
Distance prise ici avec la perspective cartésienne. Le cogito ergo sum vient se compléter d'un cogito quare sumus : je pense parce que nous sommes.
La conscience n'est proprement qu'un réseau de relations d'homme à homme. La psychanalyse freudienne ne dira pas autre chose, précisant seulement que ce réseau a un envers, une doublure inconsciente.
La fin de ce texte m'inspire quelques précisions.
Dans la pensée, qui est organisation de la perception du monde, l'individualité est mise en minorité par ce nous, c'est logique, nul ne fait société à lui tout seul. Mais la conscience, elle, entre autres par le fait de sa doublure inconsciente, peut garder sa langue propre, à côté de la traduction dans les perspectives du troupeau. Sans cela l'humanité n'aurait jamais évolué, en serait restée à une pure répétition.
L'authentique génie de l'espèce humaine consiste à prendre en compte les perspectives du troupeau, mais sans obéir purement et simplement à un instinct de troupeau.
Et c'est, me semble-t-il, une des préoccupations de Nietzsche : attirer l'attention sur cette différence capitale.