« n°345 : La morale comme problème.
Le manque de personne se fait payer partout ; une personnalité affaiblie, amenuisée, éteinte, qui se nie elle-même et renonce à elle ne parvient à rien de bon, – et moins que tout à la philosophie.
''L'abnégation'' n'a aucune valeur ni au ciel ni sur la terre ; les grands problèmes exigent tous le grand amour, et seuls en sont capables les esprits forts, complets, sûrs, qui ont en eux-mêmes une assise ferme.
La différence est absolument considérable selon qu'un penseur a un rapport personnel à ses problèmes, de sorte qu'il possède en eux son destin, sa misère et aussi son bonheur le meilleur, ou au contraire un rapport impersonnel : c'est à dire s'il ne sait les palper et les saisir qu'avec les antennes d'une pensée froide et curieuse. Dans ce dernier cas, il n'en sortira rien, on peut l'assurer. (…)
Comment se fait-il, maintenant, que je n'aie encore rencontré nul homme, pas même dans les livres, qui se soit comporté en personne à l'égard de la morale, qui ait connu la morale comme problème, et ce problème comme sa misère, sa torture, sa volupté, sa passion personnelles ?
(…) Personne, par conséquent, n'a encore examiné jusqu'à présent la valeur de cette médecine célèbre entre toutes que l'on appelle morale : ce pourquoi il est nécessaire avant tout de la – mettre en question. Eh bien ! Telle est justement notre tâche. – »
(Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Cinquième livre)
Friedrich a certes raison : impossible de penser vraiment sans rapport personnel aux problèmes que l'on pense. Précisément : personnel. Donc selon sa façon, son mode propre (qui est combinaison de caractère spontané et d'assimilation d'expériences).
Pour lui OK ce mode consiste à se jeter à corps perdu dans l'acte de penser.
Mais pour d'autres, ce sera commencer par palper précautionneusement de ses antennes le territoire. En fait l'authenticité de l'investissement personnel se voit à ses fruits. Et dire des pensées précautionneuses il n'en sortira rien, on peut l'assurer c'est aller un peu vite en besogne.
Et pareil pour ce qu'il dit de l'absence de rapport personnel à la question morale chez ses prédécesseurs : grosse mauvaise foi quand même. Et Spinoza alors ? Et Montaigne ? Et Pascal ?