« Il avouait volontiers qu'il n'y avait pas trace ni dans son corps ni dans son âme de la substance avec laquelle la nature fait les martyrs ; mais il s'était fixé une ligne de conduite conforme à l'échelle de Platon : l'amour de la justice et l'esprit de tolérance y figurent au premier rang des vertus humaines, le courage ne vient qu'ensuite. »
(Stefan Zweig. Érasme chap 4 Portrait)
Question : la substance qui fait les martyrs est-elle à rapporter à la nature ? N'y a-t-il pas là au contraire quelque chose de profondément opposé à la nature (et pas seulement la nature humaine) ?
Du moins si l'on admet avec Spinoza de caractériser toute substance par son conatus perseverare in suo esse. Son effort, sa tendance, sa programmation fondamentale à persévérer dans son être. (Et perso j'avoue Spinoza me convainc).
Pour faire les martyrs, il faut un bug dans ce programme de base. Il faut y introduire un cheval de Troie, le plus souvent une idéologie prônant le sacrifice de soi au service d'une « cause » posée en absolu, au mépris de la justice et de la tolérance (à son propre égard autant qu'à celui d'autrui). Autrement dit un fanatisme.
Le fanatisme produit ses martyrs, qui sont les bourreaux des martyrs du fanatisme d'en face (cf Question douloureuse 17 nov). Un jeu à somme nulle dont l'absurdité révèle l'intolérance source de toutes les autres : l'intolérance à la raison, la détestation nihiliste de la raison.
Et côté courage, Zweig crédite au moins Érasme (et lui avec) de celui-ci :
« La plus haute preuve de courage qu'ait donnée Érasme, c'est sa franchise à ne pas rougir de sa poltronnerie (c'est d'ailleurs une forme de l'honnêteté très rare à toutes les époques)*. Un jour qu'on lui reprochait avec grossièreté son manque de bravoure, il fit cette réponse d'une finesse souveraine : ''Voilà qui serait un terrible reproche si j'étais un mercenaire. Mais je suis un savant et la paix est nécessaire à mes travaux.'' »
*Voilà : ça, c'est fait.