Les Béatitudes : un must des évangiles. Quoique. En fait on ne les trouve, et assez différentes (cf ci-dessous), que dans ceux de Matthieu* (Mtt 5, 3-11) et de Luc (Lc 6, 20-23).
Marc et Jean, eux, ont carrément zappé. Les exégètes bien renseignés doivent savoir pourquoi. J'imagine que c'est en rapport avec les différents destinataires des textes, les choix didactiques et théologiques des rédacteurs.**
Ainsi les béatitudes sont assorties chez Luc d'un pendant de malédictions (Lc 6, 24-26).
Même si Jésus les a prononcées (perso j'en doute mais ça n'engage que moi), Matthieu n'a pas jugé bon de les rapporter, Luc oui. On reconnaît là le compagnon de Paul de Tarse. Paul qui, n'étant pas un des apôtres, n'a pas eu un accès direct à l'enseignement et aux actes de Jésus de Nazareth, et a reformulé un Jésus à sa mode.
De même que Platon dans ses dialogues fait parler Socrate selon ce qu'il a compris, mais aussi (surtout ?) selon ses objectifs propres, Paul a décidé que du message évangélique il fallait faire une nouvelle religion. Ce qui n'était pas le problème de Jésus de Nazareth.
Question de rapport au pouvoir, sans doute. Pouvoir étayé souvent sur la radicalité du discours. D'où les malédictions chez Luc, qui ne formule pas non plus les béatitudes des doux, des miséricordieux, des faiseurs de paix et des cœurs purs.
Le mot lui-même de béatitude a pâti de l'évolution sémantique, qui l'a affadi, a dilué sa charge disons spinoziste, le lien entre la joie et la force. Il faut pourtant garder ce lien en mémoire, de façon à éviter une lecture gnangnan qui risque de faire des pratiquants de ces conseils évangéliques de gentils losers.
Dans une de ses traductions (Desclée de Brouwer 1989), André Chouraqui rend le mot beati*** par « en marche », en référence, dit-il, à l'hébreu ahsrei qui « évoque la rectitude de l'homme, en marche sur une route qui va droit vers IHVH ».
Certes cela a l'avantage de donner un sens plus dynamique, mais est-ce de rectitude vraiment qu'il s'agit dans ce texte, autrement dit de loi ?
On peut, il me semble, plutôt penser à la proposition finale d'Éthique (Partie 5 prop 42) où Spinoza ose affirmer « La béatitude n'est pas la récompense de la vertu, mais la vertu-même ».
Les Béatitudes s'inscrivent dans un ensemble qui chez Matthieu correspond aux chapitres 5, 6, 7. Ils forment un digest de l'enseignement de Jésus dit « sermon sur la montagne ». Les Béatitudes inaugurent ce sermon, faisant figure de programme général, qui sera développé et précisé dans certains passages de la suite.
*Je vais lire dans la traduction oecuménique de Biblio Cerf (2015)
**Vaste et éternelle question de savoir ce que Jésus a vraiment dit et fait, parmi tout ce qui lui est prêté dans les récits évangéliques. Question du rapport entre les faits réels et leur reconstruction qui vaut d'ailleurs pour l'ensemble des textes bibliques. (Et les autres textes religieux) (et aussi pour beaucoup de textes historiques).
***Traduction latine de la Septante, à partir du texte grec. Le grec est-il ou pas la langue originale de l'évangile de Matthieu ? La question s'est posée aux exégètes. Il semblerait qu'il y ait eu combinaison d'une source en hébreu et/ou araméen (la langue parlée par Jésus de Nazareth) et d'une autre en grec.