« Heureux les miséricordieux : il leur sera fait miséricorde. »
(Mtt 5, 7)
La miséricorde, comme la douceur, est un terme qui mérite d'être débisounoursé. Son étymologie dit le fait d'avoir un cœur sensible à la misère, aux malheureux. Un cœur de chair et non un cœur de pierre.
Le miséricordieux, la miséricordieuse, est, ou se rend, perméable aux affects de souffrance d'autrui. Une perméabilité qui signe son aptitude à la fraternité humaine.
On peut ajouter : ce n'est pas mal non plus d'être perméable aux affects de joie. Côté fraternité, la co-réjouissance vaut tout autant que la compassion, et peut être même est-elle encore plus éthique. Compatir, plaindre l'autre qui souffre, peut nous placer inconsciemment (ou pas) en position de supériorité : un petit soupçon de gain d'ego. Mais partager la joie d'autrui a quelque chose de vraiment gratuit. Enfin, il me semble.
Chouraqui (traduction citée cf 1/9) dit « heureux les matriciels ». Il commente « matriciels : ceux qui se conduisent comme YHWH, donneur et gardien de la vie ».
Matriciel c'est assez moche comme terme, mais ça présente l'avantage de féminiser cette béatitude. Non que les femmes aient le monopole du cœur.
Mais donner et garder la vie, veiller sur la vie, prendre soin de la vie, c'est quand même plutôt la part disons féminine en chacun et chacune de nous, qui s'y prête le plus spontanément et avec le plus de persévérance.
Sans compter qu'historiquement, ce sont davantage les femmes qui ont assumé cette fonction (ou y ont été assignées). En tous cas le soin de la vie est très largement passé par elles.*
Remarquons surtout que la formulation de cette béatitude implique une réciprocité, un échange équitable dans notre commerce humain. Miséricorde pour miséricorde. Une réciprocité positive, mise en regard de la réciprocité strictement (durement, violemment) égalitaire du talion. Et forcément, la positivité excède la stricte égalité.
« Vous avez appris qu'il a été dit ''œil pour œil dent pour dent''. Et moi je vous dis de ne pas résister au méchant. Au contraire si quelqu'un te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi l'autre. À qui veut te mener devant le juge pour prendre ta tunique, laisse aussi ton manteau. Si quelqu'un te force à faire mille pas, fais-en deux mille avec lui. À qui te demande, donne ; à qui veut t'emprunter, ne tourne pas le dos. »
(Mtt 5, 38-42)
Un passage qui a suscité nombre d'interprétations. Pour ma part je suis sensible à celles qui y voient une sorte de pari, une prise de risque qui peut amorcer la pompe d'un courant vers la générosité, la clémence, la miséricorde.
Quelque chose de l'ordre de la non violence gandhienne, exemplairement assumée par d'autres ensuite, tel Nelson Mandela.
Un risque certes, et pas mince, un risque parfois mortel pour ceux qui le prennent. Mais aussi un bon calcul pour tout le monde.
Car à voir ce que donne la spirale de vengeance indéfinie qu'implique le talion, gageons qu'on n'aurait pas trop à perdre à l'essayer, pour de bon, la miséricorde …
*Bon oui, avec toutes les précautions qu'il convient pour manier ces questions. Mais quand même. Voir à ce propos le livre édifiant de Lucile Peytavin où elle démontre « Le coût de la virilité » (Anne Carrière 2021) imposé à la société par un comportement (prétendu viril) déficitaire en « matriciel ».