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Un souffle au coeur (8/9)

« Heureux les pauvres de cœur : le royaume des cieux est à eux. » (Mtt 5, 3) (TOB Cerf 2015)

« En marche, les humiliés du souffle ! Oui le royaume des ciels est à eux ! » (Chouraqui DDB 1989)

La deuxième partie du verset est ici formulée au présent, et non au futur comme dans les béatitudes lues jusqu'ici. Ce présent interroge, d'autant plus que cette béatitude que je ne lis que maintenant est celle qui inaugure la série dans le texte.

Mais regardons d'abord le début du verset. (NB pour la formule de Chouraqui, en marche, je renvoie à ce que j'en ai dit au début de ce parcours 1/9).

Heureux les pauvres de cœur a longtemps été traduit « heureux les pauvres d'esprit (ou en esprit) ». Il semble bien que le mot soit donc esprit, souffle.

La préférence pour le mot cœur m'apparaît motivée par le politically correct plus que par l'exégèse ou la théologie. Qui n'a entendu dire par dérision heureux les pauvres d'esprit pour moquer quelqu'un de « simplet », ou simplement pour ironiser sur certaines naïvetés ?

Esprit, ou souffle, dit bien ce dont il s'agit ici : ce qui anime un être, son énergie propre à vivre (cf le mot hébreu ruah). Quelque chose aussi comme le conatus perseverare in suo esse de Spinoza.

Quant à pauvres et humiliés, ce sont des déclinaisons du manque dont on a déjà remarqué l'importance dans ces béatitudes (cf 5/9 et 6/9). Le pauvre est dans le manque matériel ou relationnel, l'humilié dans le manque de dignité.

Question : quel est le rapport avec le royaume des cieux ? Expression énigmatique au fond. J'y entends l'idée de faire de la terre un lieu à caractère céleste, ce qui découle en toute logique de la notion de dieu faisant l'humain à son image (Genèse chap 1).

Cette béatitude, étant au présent, présente ce royaume comme advenu pour les pauvres-humiliés, ici et maintenant.

De deux choses l'une : ou bien la pauvreté et l'humilité leur sont imposées, sont un effet de la méchanceté, de la non-fraternité humaine. Ou bien elles sont de l'ordre du choix (ce qui les « positive »). Alternative qui peut se rendre dans les mots par la différence appauvri (dépouillé)/pauvre d'un côté, humilié/humble de l'autre.

Dans la première interprétation, ce royaume des cieux ne fait pas franchement envie. Et autant fermer le livre tout de suite.

Reste la deuxième façon d'interpréter. Et là, je me souviens d'un autre texte.

« YHWH mon cœur n'enfle pas, mes yeux ne sont pas hautains, je ne marche pas dans ce qui est trop grand et difficile pour moi*. N'ai-je pas calmé et apaisé mon être ?

Comme l'enfant sevré** sur sa mère, comme l'enfant sevré, sur moi mon être.

Qu'Israël attende YHWH, dès maintenant jusqu'en éternité. »

(psaume 131. trad. Calame et Lalou Albin Michel 2009)

*Non enflé, non hautain : formulation de l'humilité de l'adam le terrien, de son absence d'ubris.

*Enfant sevré ramène à la notion de manque, mais avec cette précision que l'enfant garde l'accès à l'essentiel, la présence matricielle (cf 3/9) de sa mère. Présence transformée en attente, en désir, dans la relation entre YHWH et Israël.

 

Tout cela pour dire que je reformulerais bien cette béatitude :

« Heureux ceux qui n'ont pas pour moteur le désir d'avoir, de pouvoir, de réputation, ils sont animés d'un souffle créateur d'humanité. »

 

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