« N'allez pas croire que je sois venu abroger la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abroger, mais accomplir. (…) Car je vous le dis : si votre justice ne dépasse pas celle des scribes et des pharisiens, non, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux. »
(Matthieu 5, 17 et 20)
La loi et les prophètes sont les textes de référence de la religion, portant en filigrane, à nouveau, les figures de Moïse et des grands prophètes d'Israël, Isaïe, Jérémie, Ezéchiel, Osée.
Moïse pose les cadres de l'alliance entre Dieu et le peuple. Les prophètes les rappellent chaque fois que c'est nécessaire. Lorsque le peuple se montre infidèle à cette alliance, incapable d'en assumer les exigences. Lorsque le peuple est menacé, le rappel est alors celui de la fidélité de Dieu à sa propre promesse.
Jésus s'inscrit donc dans un judaïsme classique.
Cela étant, deux termes dans ces phrases correspondent à la lecture « à nouveau » qui est l'objet de ce discours sur la montagne (cf 1).
Accomplir est un mot fort. Il s'agit d'aller jusqu'au bout de la loi, de la vivre de façon parfaite. « Vous donc vous serez parfaits comme votre père céleste est parfait » précise Jésus un peu plus loin (Mtt. 5, 48) dans le passage sur l'amour des ennemis, dont j'ai parlé à propos de la béatitude de la miséricorde (cf Béatitudes 3/9 23-12-22).
Du même esprit relève l'expression « Si votre justice ne dépasse pas celle des scribes et pharisiens. »
Les scribes veillaient à la précision des termes de la loi. Les pharisiens revendiquaient son application stricte. Les uns et les autres pratiquaient donc une forme d'intégrisme (sans y mettre nécessairement une connotation péjorative). On pourrait leur prêter une devise du genre : rien que la loi, toute la loi.
Jésus d'une certaine manière les prend au mot. Rien que la loi toute la loi OK, du coup allons directement à l'essence de la loi : la justice. À quoi sert la loi, si ce n'est à s'ajuster au « royaume des cieux », aux propositions célestes de bonheur sur terre (détaillées dans le texte inaugural de l'enseignement sur la montagne comme on l'a vu dans la série précédente) ?
Et pour cela il ne suffit pas de rites et d'actes cadrés dans telles et telles limites, il s'agit de sortir du cadre, de le dépasser.
Bref d'y aller à fond, de « tout donner » comme on dit pour une course par exemple. La traduction d'André Chouraqui* le rend bien : « Si votre justice n'abonde pas plus que celle des sopherim et des péroushim, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux. »
*Desclée de Brouwer 1989 (je l'ai déjà mentionnée à propos des Béatitudes).