«Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une hauteur ne peut être cachée. Quand on allume une lampe, ce n'est pas pour la mettre sous le boisseau mais sur son support, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. De même, que votre lumière brille aux yeux des hommes, pour qu'en voyant vos bonnes actions ils rendent gloire à votre père qui est aux cieux. »
(Matthieu 5, 14-15)
Un texte simple, clair, pour ne pas dire lumineux … Quoique. De l'apparente évidence, très vite des questions surgissent. Qui est ce « vous » à qui ce discours s'adresse ? Qui sont « ceux qui sont dans la maison » ? Et quelle maison ?
D'un point de vue intérieur au récit (dit diégétique) c'est le personnage nommé Jésus qui s'adresse par ce « vous » aux personnages nommés disciples, ces gens qui l'ont suivi sur la montagne, et l'écoutent. Mais ce « vous », d'un point de vue dit métadiégétique (qui consiste en une sorte de zoom arrière, replaçant le récit dans la situation globale de communication), est aussi celui que l'auteur du texte adresse à ses lecteurs.
Le texte de Matthieu est écrit pour les premières communautés chrétiennes. Du coup la « maison » peut désigner ces communautés. De manière directe, c'est probable. Mais le texte incite aussi à identifier cette maison au monde entier, à la terre qui est le lieu de vie de la « famille humaine ». Une idée qui a entraîné, pour le meilleur et le pire, le prosélytisme de cette nouvelle religion. Et aussi sa volonté de se démarquer plus ou moins élégamment de sa « maison-mère », le judaïsme.
Pourtant on peut supposer que lorsque Jésus de Nazareth parle ici de lumière, son propos est simplement d'évoquer des textes bien connus par les gens qui l'écoutent, en y mettant son propre éclairage, pour les faire entendre à nouveau.
Ainsi (puisque ce passage suit directement les béatitudes) le lien lumière-bonheur :
« Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière. Sur ceux qui habitaient le pays de l'ombre, une lumière a resplendi. Tu as fait abonder leur allégresse, tu as fait grandir leur joie. » (Livre d'Isaïe chap 9, 1-2)
Ou le lien lumière- éthique (en voyant vos bonnes actions) :
« Les préceptes du seigneur sont droits, ils réjouissent le cœur ; le commandement du seigneur est lumineux, il illumine les yeux. » (Psaume 18, v.9) (trad Lalou et Calame)
Et surtout il me semble que ce texte peut être compris de façon encore plus simple, en laissant de côté les questions inutiles de boutiques religieuses.
Tous les habitants de la maison-monde sont invités à se faire lumière, à s'éclairer mutuellement. Pourquoi ?
« Pour qu'en voyant vos bonnes actions ils rendent gloire au père des cieux. »
Remarquons que le mot gloire appartient lui aussi au champ sémantique de la lumière. Rendre gloire au père des cieux peut s'interpréter alors comme faire briller sur terre une lumière de caractère « céleste ».
Comment ? Par des actions bonnes, un bon agir qui fait du bien. Conforme à la miséricorde, la douceur, la paix, bref ces qualités « matricielles » qui, pour les auteurs de ces textes, caractérisent leur dieu. Un dieu qui n'est pas vu comme un maître, un seigneur au pouvoir et vouloir absolus, mais un parent absolument aimant*.
*Cf le n°3/9 de ma série précédente sur les béatitudes.