« XXVII. Le Repentir (poenitentia) est une Tristesse qu'accompagne l'idée d'un acte que nous croyons avoir fait par libre décret de l'Esprit. »
(Spinoza Éthique Partie 3. Définition des affects)
Avec cette définition arrive un élément pas encore rencontré, un élément-clé pourtant du raisonnement éthique de Spinoza : le libre arbitre, libre décret de l'Esprit.
Alors que l'on a plutôt tendance à le considérer comme un fondement de l'attitude éthique, Spinoza lui règle son compte sans états d'âme. Ce n'est pour lui qu'une illusion, source d'opinion, c'est à dire de connaissance vague, autrement dit de non-pensée.
« Les hommes se trompent en ceci qu'ils se croient libres, opinion qui consiste seulement en ceci qu'il sont conscients de leurs actions et ignorants des causes qui les déterminent.(...) Quant à ce qu'ils disent, à savoir, que les actions humaines dépendent de la volonté, ce sont des mots pour lesquels ils n'ont aucune idée. »
(Éthique Partie 2, scolie prop 35)
On se raconte des histoires, on se paye de mots, pour entretenir un fantasme porteur, comme tout fantasme qui se respecte, d'un désir inconscient. ici il s'agit de nier le déterminisme. Pourquoi le nier au fait ? Ben parce que c'est un truc pas chic, un truc bon pour les plantes et les animaux, mais pas pour l'être humain si fier de sa raison avec son bras armé la volonté.
Et ce sont les plus fiers de leur raison, les philosophes et/ou théologiens, que Spinoza renvoie sèchement à leurs chères études dans la suite de ce scolie :
« Ce qu'est la volonté, en effet, et de quelle manière elle meut le Corps, tous l'ignorent, ceux qui prétendent autre chose et inventent à l'âme des sièges et des demeures suscitent d'ordinaire le rire ou la nausée. »
Voilà : ça, c'est fait.
C'est au contraire précisément au nom de la raison que Spinoza nous dit : se libérer de la croyance fallacieuse au libre arbitre est le commencement de l'éthique, sa condition sine qua non. Il faut admettre que nos choix ne s'inscrivent pas ailleurs qu'à l'intérieur du cadre déterministe.
Plutôt que s'échiner à nier ce cadre, c'est en travaillant à comprendre sa logique de fonctionnement qu'on s'y donnera la possibilité de notre liberté. Une liberté concrète, réelle, en acte, pas le fantasme de la liberté.
Revenons à notre repentir. Le mot employé, poenitentia, c'est l'idée : on s'en veut, on est mécontent de soi, on mérite un châtiment (poena).
Comme les autres affects de ce type, littéralement rétrogrades (re-mords, res-sentiment), il ne risque pas de faire avancer sur le chemin de la vertu. D'ailleurs Spinoza les présente (explication après déf 26) tous deux, l'humilité et le repentir, comme opposés complémentaires de l'acquiescentia.
Bref, s'il l'avait lu*, Spinoza n'aurait pu qu'adhérer aux paroles de Montaigne :
« Excusons ici ce que je dis souvent, que je me repens rarement, et que ma conscience se contente de soi, non comme de la conscience d'un ange ou d'un cheval, mais comme de la conscience d'un homme. » (Essais III,2 Du repentir)
*Il ne l'a pas fait, probablement par ignorance de son œuvre, ou encore parce qu'il ne lisait pas le français. Dommage, hein ? On aurait aimé savoir ce qu'il en aurait pensé …