« XXVIII. L'Orgueil (superbia) est de faire de soi, par Amour, plus de cas qu'il n'est juste. »
(Spinoza Éthique Partie 3. Définition des affects)
Par amour : pour ne pas se méprendre sur la motivation de l'orgueil, il faut rappeler la définition de l'amour selon Spinoza (cf 6) : une Joie qu'accompagne l'idée d'une cause extérieure.
L'attitude de l'orgueilleux est parfois taxée de suffisance. Mais en fait c'est le contraire : elle révèle un vide intérieur. L'orgueilleux met ses efforts à gonfler son ego faiblard, comme ces oiseaux leurs plumes pour séduire la femelle et/ou effrayer le rival, pour décourager le prédateur.
Dans l'explication, Spinoza précise cette dépendance de l'orgueilleux au regard et à la reconnaissance d'autrui. À son opinion au sens propre, c'est à dire au fait qu'il opine ou pas à ce que l'orgueilleux prétend être.
Ce qui peut conduire cet orgueilleux, en cas de non-opinion à sa bonne image de soi, à éprouver un affect qui est le négatif de l'orgueil.
« Si nous prêtons attention à ce qui dépend de la seule opinion (…) il peut en effet se faire que quelqu'un, contemplant tristement sa faiblesse, s'imagine mésestimé de tous, alors que les autres ne pensent à rien moins qu'à le mésestimer. »
Négatif de l'orgueil que Spinoza définit ainsi :
« XXIX. L'Abjection (abjectio) est de faire de soi, par Tristesse, moins de cas qu'il n'est juste. »
Ab-jectio : le fait de se rejeter soi-même, le dégoût de soi.
« Nous avons l'habitude, cependant, d'opposer souvent à l'Orgueil l'Humilité, mais alors c'est que nous prêtons attention aux effets des affects plutôt qu'à leur nature.(...)
Du reste, ces affects, j'entends l'Humilité et l'Abjection, sont rarissimes. Car la nature humaine, en soi considérée, déploie contre eux tous les efforts qu'elle peut, si bien que ceux qu'on croit abjects et humbles au plus haut degré sont en général ambitieux et envieux au plus haut degré. » (Explication de la définition 29) (NB : Pour l'acception spinoziste d'humilité cf 16)
Voilà : ça aussi, c'est fait. Spinoza connaissait son monde … Entendons-nous, il ne s'agit pour autant d'une valorisation de ces affects made in tristesse. Ce qui est pointé, avec autant de flegme que d'ironie, c'est bien la tartuferie de ces faussaires de l'éthique.
Montaigne ajoute une précision
« De dire moins de soi qu'il n'y en a, c'est sottise, non modestie. De dire de soi plus qu'il n'y en a, ce n'est pas toujours présomption, c'est encore souvent sottise. » (Essais II,6 De l'exercitation)
C'est souvent sottise : la surestimation comme la sous estimation de soi ne sont pas tant une faute morale qu'une connerie. L'ennui c'est que ça ne fait pas moins de dégâts.