« XXXV. La Bienveillance (benevolentia) est le Désir de faire du bien à celui qui nous fait pitié. »
(Spinoza Éthique Partie 3. Définition des affects)
Rappel : la pitié est le fait de se sentir partie prenante, selon le mécanisme d'imitation des affects (cf 11), de la douleur d'autrui. C'est l'une des modalités de la fraternité, cette conscience d'avoir avec autrui l'humanité en partage.
La bienveillance est ainsi le désir de mettre en acte une fraternité positive, de tenter de réparer ce qui fait mal, de le compenser par l'apport de quelque chose qui fait du bien.
Mais, comme l'histoire de Caïn et Abel nous le rappelle, il existe aussi un mode négatif de fraternité, celui qui lie les frères ennemis par une réciprocité de haine.
« XXXVI. La Colère (ira) est le Désir qui nous excite, par Haine, à faire du mal à celui que nous haïssons. »
« XXXVII. La Vengeance (vindicta) est le Désir qui nous excite, par Haine réciproque, à faire du mal à qui, pareillement affecté, nous a infligé un dommage. »
Avec ce pareillement affecté Spinoza insiste sur le point essentiel de son éthique. Faire de la bienveillance l'antidote de la vengeance, agir selon un parti-pris de fraternité positive, n'est pas une affaire de morale abstraite, mais de reconnaissance des affects.
Les reconnaître en nous et chez les autres. Aux deux sens : les repérer et les analyser, mais aussi les admettre, ne pas les dénier.
Mais le gros problème c'est que la colère et la vengeance, même reconnues comme telles, restent des affects passifs, et sous leur effet on se laisse emporter : à la tristesse, au découragement, au dégoût de soi et de l'humanité.
La bienveillance, en tant que pitié pour soi, pour l'autre, du mal que fait que la haine à l'un et à l'autre, pourrait être le début du chemin pour se libérer de l'emportement.
Un chemin sur lequel on se heurtera aux mêmes difficultés que pour se libérer d'un comportement addictif (car qu'est-ce que la vengeance, le talion, sinon une addiction à la haine ?).
De ces difficultés Spinoza nous prévient dans les tout derniers mots de son Éthique.
« Si maintenant l'on trouve très difficile le chemin que j'ai montré (…) du moins peut on le découvrir. Et il faut bien que ce soit difficile, ce qu'on trouve si rarement. Car comment pourrait-il se faire, si le salut se trouvait sous la main et qu'on puisse le découvrir sans grand labeur, que tous ou presque le négligent ? Mais tout ce qui est difficile est remarquable autant que rare. »
(scolie proposition 42 partie 5)
Grand labeur, rare : faut donc croire qu'avoir tout simplement l'instinct de survie ça dépasse l'humanité ? (Comme dirait Nietzsche)