« XLIV. L'Ambition (ambitio) est le Désir excessif (immodica) de gloire. »
(Spinoza Éthique Partie 3. Définition des affects)
Notons que ce désir « immodique » va à l'encontre de la modestia, du fait d'être modicus, mesuré, dans la définition précédente (cf 28).
Spinoza précise dans l'explication que, par la mécanique de l'imitation des affects,
« L'Ambition est un Désir par lequel tous les affects se trouvent alimentés et renforcés ; et par là cet affect peut à peine être surmonté. Car aussi longtemps qu'un Désir tient l'homme, elle aussi nécessairement le tient. 'Les meilleurs sont au plus haut point menés par la gloire' dit Cicéron. 'Même les philosophes, en tête des livres qu'ils écrivent pour inciter à mépriser la gloire, inscrivent leur nom' etc.»
Les grands esprits se rencontrent, car Montaigne cite lui aussi ce passage de Cicéron (Essais I,41 De ne communiquer sa gloire). En outre il ironise sur Épicure soi-même, qui n'était pas si détaché qu'on le croirait du souci de reconnaissance par la postérité (II,16 De la gloire).
Mais Montaigne ne serait pas Montaigne s'il n'admettait à plusieurs reprises, en particulier dans De la vanité (III,9) ne pas être lui-même exempt de ce genre d'ambition.
Et l'on peut facilement de même imaginer le sourire d'auto-dérision de Spinoza quand il ajoute à la fin de la citation ce narquois « etc. »
On voudrait que tous les ambitieux contemporains soient capables de la même distance.
Mais je crains que la plupart ne soient du style d'ambitieux qui « a besoin de la première, de la seconde, de la dernière place dans l'ordre du crédit et du pouvoir, et se rattache à chaque degré, cédant à l'horreur que lui inspire la privation absolue de tout ce qui peut combler, ou satisfaire, ou même faire illusion, à ses désirs. » (G. de Staël De l'ambition)