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48 nuances (30) Immodéré

« XLV. La Gourmandise (luxuria) est le Désir immodéré (immoderata), ou même l'Amour, de manger (convivandi).

XLVI. L'Ivrognerie (ebrietas) est le Désir immodéré et l'Amour de boire.

XLVII. L'Avarice (avaritia) est le Désir immodéré et l'Amour des richesses. »

(Spinoza Éthique Partie 3. Définition des affects)

 

En facteur commun dans ces définitions : immodéré. Même idée de perdre la mesure qu'avec « immodique » la dernière fois.

Pourquoi alors Spinoza n'emploie-t-il pas le même mot ? Perso je dirais bien que c'est juste le hasard : les définitions 44 et 45 n'ont pas dû être rédigées à la suite. Spinoza s'est interrompu pour se faire un café, sortir poster une lettre, s'entraîner en vue du marathon d'Amsterdam. Et quand il s'est remis au travail, c'est un autre mot qui lui est tombé sous la plume.

Bon le lecteur conséquent, la lectrice logique, me diront que parler de hasard chez Spinoza, chantre du déterminisme, c'est limite. OK vous l'aurez voulu.

Les deux mots latins sont de sens très proches. Immodicus (dixit Gaffiot who else) c'est « démesuré, excessif, sans retenue ». Immoderatus c'est plutôt « sans bornes, infini ».

La nuance, s'il faut en voir une, est dans la différence d'accent. Immodicus met l'accent sur le côté incoercible de la pulsion, et immoderatus sur l'étendue de ses effets, son invasion du territoire subjectif et, par conséquent, de la vie du sujet.

En tous cas les deux parlent de l'emprise addictive, de cette incontrôlable obsession qui devient le seul filtre du rapport au monde. Et quand Spinoza parle d'amour ici, c'est assez loin de ce qu'il en a dit plus haut l'amour comme joie, affect actif (cf 6). Ici il s'agit en fait de passion, c'est à dire de passivité, d'impuissance.

Mais ces définitions nous posent encore d'autres questions sémantiques.

Luxuria traduit par gourmandise : étonnant, non ? C'est que luxuria est un faux ami. On est tenté de le rapprocher du sens actuel de luxure, mais en fait il s'agit de luxuriance, de surabondance. Plutôt que gourmandise on aurait pu dire goinfrerie.

Ensuite convivare veut dire manger, oui, mais manger en compagnie, partager un repas. S'agirait-il de désigner un excès de convivialité ? (Dont on se demande d'ailleurs comment il se manifesterait : genre le film de Marco Ferreri La grande bouffe ?)

Quoique. Il y a bien une chose qui peut jeter le soupçon sur la convivialité, c'est lorsqu'elle s'assortit d'une exclusion. Quand certains mangent à leur faim et davantage, alors que d'autres manquent du nécessaire.

Si l'on interprète ainsi la gourmandise au sens politico-social, on se dit : oui c'est vrai l'appétit immodéré des uns est une atteinte à la simple sustentation des autres. Que ce soit à l'échelle d'un pays, quand le fonctionnement social manque de justice. Que ce soit à l'échelle mondiale, géopolitique, quand des pays préemptent à leur profit les richesses mondiales, en général par le canal de firmes transnationales.

Qui elles se gavent au détriment de tout le reste du monde.

Du coup on voit le rapport avec l'avarice et l'ivresse (dont les plus destructrices sont celles de l'avoir et du pouvoir).

 

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