Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Retrouver les contacts

« Après-midi de janvier. Mais le froid reste au fond de l'air. Partout une pellicule de soleil qui craquerait sous l'ongle mais qui revêt toute chose d'un éternel sourire. Qui suis-je et que puis-je faire – sinon entrer dans le jeu des feuillages et de la lumière. Être ce rayon de soleil où ma cigarette se consume, cette douceur et cette passion discrète qui respire dans l'air. Si j'essaie de m'atteindre, c'est tout au fond de cette lumière. (…)

Tout à l'heure, d'autres choses et les hommes me reprendront. Mais laissez-moi découper cette minute dans l'étoffe du temps, comme d'autres laissent une fleur entre les pages. (…) La vie est courte et c'est péché que de perdre son temps. Je perds mon temps pendant tout le jour et les autres disent que je suis très actif. Aujourd'hui c'est une halte et mon cœur s'en va à la rencontre de lui-même. »

(Camus Carnets Janvier 36)

 

En lisant ça on se dit qu'en plus de ses œuvres philosophique et romanesque, Camus aurait pu créer une œuvre poétique tout aussi magistrale.

On voit aussi combien la pensée naît de l'attention aux sensations. Décidément le soleil de janvier inspire les philosophes, car ce passage m'évoque le début du quatrième livre du Gai savoir écrit en janvier 1882 à Gênes.

« Je veux apprendre toujours plus à voir dans la nécessité des choses le beau : je serai ainsi l'un de ceux qui embellissent les choses. Amor fati : que ce soit dorénavant mon amour ! (…) En somme toute, en grand : je veux même, en toutes circonstances, n'être plus qu'un homme qui dit oui ! »

 

Si j'essaie de m'atteindre, c'est tout au fond de cette lumière : là c'est à Schopenhauer que l'on pense. Si l'on cultive ce qu'il appelle l'objectité, voir le monde et les choses tels qu'ils se présentent, vraiment les voir, on fait aussi l'expérience, dit-il, de se voir soi-même dans l'œil unique du monde.

 

« Ne pas se séparer du monde. On ne rate pas sa vie lorsqu'on la met dans la lumière. Tout mon effort, dans toutes les positions, les malheurs, les désillusions, c'est de retrouver les contacts. Et même dans cette tristesse en moi quel désir d'aimer et quelle ivresse à la seule vue d'une colline dans l'air du soir. Contacts avec le vrai, la nature d'abord, et puis l'art de ceux qui ont compris, et mon art si j'en suis capable. (…) L'essentiel : ne pas se perdre, et ne pas perdre ce qui, de soi, dort dans le monde. » (Mai 1936)

 

Le mot de contact revient souvent sous sa plume. La manière dont il le développe ici, en particulier dans la belle dernière phrase, m'évoque ceci : (Spinoza Éthique part.5)

« Amor dei intellectualis, l'amour intellectuel de l'esprit envers dieu* est l'amour-même de dieu dont dieu s'aime lui-même (…) De là suit que dieu, en tant qu'il s'aime lui-même, aime les hommes, et par conséquent, que l'amour de dieu envers les hommes et l'amour intellectuel de l'esprit envers dieu est une seule et même chose. » (prop 36 et corollaire)

« Que cet amour se rapporte à dieu ou bien à l'esprit (mentem), c'est à bon droit qu'on peut l'appeler satisfaction de l'âme (animi acquiescentia), laquelle en vérité ne se distingue pas de ce qu'on appelle gloire dans les livres sacrés (…) Par là s'éclaire pour nous comment et de quelle façon notre esprit suit de la nature divine selon l'essence et l'existence et dépend continuellement de dieu ; et j'ai pensé qu'il valait la peine de le noter ici pour montrer par cet exemple toute la force de la connaissance des choses singulières que j'ai appelée intuitive ou du troisième genre. » (scolie prop 36)

 

Ces phrases de Camus éclairent ainsi (un peu) pour moi ce concept de connaissance du troisième genre qui, toute intuitive que la dise Spinoza, ne me paraît pas si immédiate que ça. (Faut que je travaille mes contacts, sans doute).

 

*Rappelons que pour Spinoza Dieu c'est autrement dit la nature (deus sive natura). On peut donc dans ses phrases remplacer un mot par l'autre, sachant que son concept de nature est très large, englobant à la fois les éléments concrets (réalisés) de la nature (y compris l'être humain) et les lois de son fonctionnement (les logiciels de réalisation).

Les commentaires sont fermés.