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Celui qui se dédouble

« Ce qui fait le prix du voyage, c'est la peur. C'est qu'à un certain moment, si loin de notre pays, de notre langue (un journal français devient d'un prix inestimable. Et ces heures du soir dans les cafés où l'on cherche à toucher du coude d'autres hommes), une vague peur nous saisit, et un désir instinctif de regagner l'abri des vieilles habitudes. C'est le plus clair apport du voyage. (…)

C'est pourquoi il ne faut pas dire qu'on voyage pour son plaisir. Il n'y a pas de plaisir à voyager. J'y verrais plutôt une ascèse. »

(Camus Carnets 1936)

 

Cette histoire de désarroi lorsque l'on quitte l'abri des vieilles habitudes, ça me parle. Je me dis souvent que j'ai dû être escargot dans une autre vie : « jamais sans ma coquille où je peux me réfugier à la moindre alarme. »

En parlant d'ascèse, Camus fait entendre aussi que cette coquille n'est pas seulement matérielle, que l'on peut s'abriter dans sinon des certitudes, du moins des procédures de pensée et des modes d'être qui rassurent. Et c'est de cela qu'un vrai voyage peut déloger (et la distance réelle de son chez-soi ne fait rien à l'affaire).

Ajoutons que l'ascèse, l'auteur du Mythe de Sisyphe ne la dissociera pas nécessairement du bonheur. (Voir la dernière phrase de cet essai, bien connue, ressassée même, mais toujours aussi percutante).

 

« Tous les contacts = culte du Moi ? Non. Culte du moi présuppose amateurisme ou optimisme. Deux foutaises. Non pas choisir sa vie, mais l'étendre.

Attention : Kierkegaard, l'origine de nos maux, c'est la comparaison.

S'engager à fond. Ensuite, accepter avec une égale force le oui et le non. » (mai 36)

 

« Et les voilà qui meuglent : je suis immoraliste. Traduction : j'ai besoin de me donner une morale. Avoue-le donc, imbécile. Moi aussi. »

 

« Intellectuel ? Oui. Et ne jamais renier. Intellectuel = celui qui se dédouble. Ça me plaît. Je suis content d'être les deux*. ''Si ça peut s'unir ?'' Question pratique. Il faut s'y mettre. ''Je méprise l'intelligence'' signifie en réalité : ''je ne peux supporter mes doutes.''

Je préfère tenir les yeux ouverts. »

 

 

*Les deux : imbécile et intellectuel à la fois (c'est ce que je comprends).

 

Commentaires

  • Celui qui fait l'imbécile assène sa certitude. L'intellectuel s'interroge. Oui, nous pouvons être ces deux-là et d'autres encore.
    Michaux : "Il n'est pas un moi. Il n'est pas dix moi. Il n'y a pas de moi. MOI n'est qu'une position d'équilibre." (Postface de "Lointain intérieur")

  • Merci pour ce complément, Tania. Je ne connaissais pas cette définition du moi par Michaux, je la trouve très suggestive.

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